Pourquoi Pierre Pilon a-t-il une rue à Nesles ?

François-Pierre Pilon (18 avril 1824-13 septembre 1912) a bien mérité de la reconnaissance des Neslois. La dépouille de cet homme, modeste mais généreux, repose dans le cimetière de notre village où la commune lui a offert une concession à perpétuité en Pourquoi Pierre Pilon a-t-il une rue à Nesles 1reconnaissance d’un legs de 20 000 francs qu’il avait stipulé en faveur du Bureau de bienfaisance de la commune, dont il était un des administrateurs (Délibération municipale du 21 août 1912, M. Jules Chardon étant maire). Par ce geste, Pierre Pilon, qui n’avait pas eu de descendants, consolidait la subvention annuelle qu’il avait accordée, de son vivant, à la commune « pour chausser les enfants pauvres, à condition qu’ils fussent assidus à l’école ». Né et mort à Paris, Pierre Pilon n’en appartenait pas moins à une vieille famille nesloise dont plusieurs membres (Jean-Pierre et Abel) avaient animé la vie communale en 1848-1849, soit comme membres du conseil municipal, soit comme adjoint au maire, puis comme maire en juillet 1849 au décès de son prédécesseur, M. Fressart.

Petit-cousin d’Aristide Partais avec lequel il était très lié et à qui il avait donné des leçons de dessin, il vivait à Pontoise ou à Nesles, 2, allée Saint-Denis.

C’est un autre aspect de notre ancien compatriote que nous voudrions mettre en relief. En effet, bien qu’il n’en ait pas vrai­ment fait profession, Pierre Pilon – du moins sur la fin de sa vie – a pratiqué la peinture en artiste, suffisamment doué pour éveiller l’attention de plusieurs amateurs et bénéficier d’une renommée non négligeable parmi ses confrères. Il fait partie de cette cohorte de peintres, professionnels ou amateurs « Les peintres des bords de l’Oise », qu’évoquait une exposition tenue en 1974-1975 au Musée Tavet-Delacour de Pontoise. Il avait également retenu l’es­time et l’attention du fameux docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise, qui lui avait acheté plusieurs tableaux. Quarante-deux ans après la mort de Pierre Pilon, le fils du docteur Gachet, Paul Louis Lucien (1873-1962) lui consacra, dans La Gazette des Beaux-Arts [tome XLIII, (1954) pp. 179-188], peut-être dans un but de promotion commerciale, une longue étude dont les archives de la mairie de Nesles conservent un exemplaire complété d’une douzaine de photographies des tableaux appartenant à la collection Gachet, selon les mentions portées au verso, calligraphiées dans le cartel caractéristique de la collection.

À partir de ce travail, il nous est possible de faire revivre la mémoire de Pierre Pilon. Bien plus, Paul Gachet fils, alors âgé d’une trentaine d’années, a laissé un portrait de son ami, crayonné le 27 mars 1902, (reproduction ci-dessus). La signature : L. van Ryssel est le pseudonyme que les Gachet, originaires de Lille (en flamand : Ryssel), utilisaient pour signer leurs œuvres. Dans une minutieuse analyse de la technique de Pilon qu’il qualifie de « peintre naïf » en le comparant – ce qui n’est pas au Douanier Rousseau – Gachet fils relève tout ce que l’artiste avait retenu de son savoir-faire de peintre-décorateur en bâtiment : supports divers « non-professionnels » (cartons d’emballage, voire même papier-journal), utilisation de « pigments en poudre triturés grossièrement au couteau de « broyeur », avec très peu d’huile et pas mal d’essence sur une palette ovale » et posés sur le support avec de grosses brosses, etc.

Et Gachet d’ajouter : « Pilon peignait d’instinct, spontanément, sans préoccupation d’ap­pliquer une théorie. Son travail nécessite cependant une certaine méthode, mais elle relève plus des règles qui président au métier que de calculs réfléchis d’une technique savante, métaphy­sique. »

Tous les sujets ont été abordés par notre peintre, mais, hormis les portraits et quelques rares natures mortes, il n’a jamais peint d’après nature, ce qui est tout à fait exceptionnel à cette époque et dans ces lieux si prisés des peintres impressionnistes. Si, dans les premières années de sa production, Pilon, en bon amateur, ne faisait pas commerce de ses œuvres, il gagna suffi­samment en réputation pour que des collectionneurs commencent à s’intéresser à lui. Ce qui sans aucun doute le fit davantage connaître, c’est, en 1895, la fondation de la Société française artistique de Pontoise, à laquelle il participa avec une dizaine de collègues de la région, dont, entre autres, le peintre Ernest de Bastard et dont une première exposition eut lieu le 1er juin 1895. Pilon exposa ensuite très régulièrement chaque année jusqu’en 1904.

C’est précisément à partir de cette époque que les premiers collectionneurs le découvrirent. C’est là qu’il rencontra le docteur Gachet, puis Eugène Mürer, le pâtissier-peintre-littérateur, dont on sait l’accueil qu’il réservait à ses amis les Impressionnistes – tous deux le surnommèrent « le Corot de Seine-et-Oise ». Un peu plus tard, vinrent Adolphe Tabarant, l’historien de Manet, qui écrivît la préface de la seconde exposition Mürer chez Ambroise Vollard en février 1898, ainsi que le docteur Victor Doiteau qui devait publier en 1923 un portrait chaleureux et amical du docteur Gachet qu’il avait fréquenté (La curieuse figure du Dr Gachet, Revue Aesculape, août 1923). Quelles peintures de Pierre Pilon, au-delà des douze reproductions jointes à la notice et de ce qui a été exposé en 1974 au Musée de Pontoise, pouvons-nous encore envisager de retrouver ? Que sont-elles devenues ? Quelles collections les conservent encore ? Il paraît malheureusement vraisemblable que beaucoup sont disparues – la fragilité de leurs supports, si l’on n’a pas procédé à un entoilage, a dû leur être fatale. Peut-être est-il possible qu’au moins les douze tableaux de la collection Gachet, qui n’ont apparemment fait l’objet d’aucune des donations successives entre 1949 et 1960 faites par la famille à divers musées, aient figuré à la vente aux enchères des 9 et 10 mars 1963 à l’Hôtel des ventes de Pontoise. Ou bien, autre hypothèse, ont-elles été cédées par Gachet, de son vivant ?

C’est pourquoi nous adressons à tous ceux qui liront ces quelques lignes un appel pour qu’ils nous signalent tous les éléments en leur possession qui pourraient permettre de mieux faire revivre la mémoire de Pierre Pilon, peintre méconnu.