Pour le soixantième anniversaire de l’élection de Mr Emile Henriot à l’académie française

Il y a soixante ans, le 12 avril 1945, après la longue nuit de l’occupation, les portes du Palais Mazarin s’ouvraient devant notre compatriote Emile HENRIOT qui venait d’être élu membre de l’Académie Française à la quasi- unanimité des votants.

Depuis sa disparition, le 17 avril 1961, se fait sur lui un silence presque injurieux. Il engageait trop de qualités qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui pour qu’on le plaigne de ce discrédit passager où il a rejoint, d’ailleurs, les maîtres de sa parenté : J.L. VAUDOYER, P.J. TOULET, R. KEMP, BOURGES, H. DE REGNIER, E. JALOUX, DORGELES.

Il est possible aussi que cet écrivain qui n’a jamais fait parler de lui que par ses livres apparaisse aussi distant dans la mort, qu’il l’avait été, par une parfaite indépendance d’esprit, dans la vie.

Ceux qui l’ont connu, dont je suis, savent bien au contraire qu’il fût admirable, bien né, possédant à la fois la délicatesse du cœur et la noblesse de l’esprit, la bonne grâce et la gentillesse.

L’EPEE

L’épée d’académicien de Monsieur Emile HENRIOT, offerte par souscription, lui a été remise le 10 janvier 1946 dans l’atelier de composition du journal « LE MONDE » au cours d’une cérémonie réunissant ses confrères et amis.

La contribution des Neslois avait été appelée par un comité qui sous le haut patronage de Georges DUHAMEL réunissait le Docteur LEBETTRE, Octave GEORGES, Roland BERLING et Albert GOUJAT. Ces derniers  étaient présents ce jour-là lorsque l’écrivain reçut son glaive, symbole d’anoblissement. Ils le virent aussi prendre séance le 24 janvier 1946 sous l’imposante coupole du Quai Conti pour la lecture de son remerciement.

Cette épée dessinée par l’écrivain J.L. VAUDOYER est l’œuvre du sculpteur Albert POUGET et du fondeur d’art POILLERAT.

La recherche de composition, le respect des volumes et l’intégration de la symbolique font de cette pièce unique un véritable bijou. C’est aussi une arme parlante.

Le pommeau figure un globe terrestre lové dans le calice d’une rose.

L’anneau qui bague le fourreau porte un sablier, allusion au TEMPS, journal où le nouvel élu collaborait jusqu’à la défaite de 1940. sur la coquille se trouve un crayon et une plume devant une lyre, allusion talentueuse au dessinateur Henri HENRIOT, père d’Emile, la plume c’est Emile HENRIOT lui-même et la lyre est celle du compositeur Charles GOUNOD, le grand-père de l’épouse d’Emile HENRIOT.

Sur la fusée est gravé le clocher de Nesles la Vallée, symbole de l’attachement de l’académicien à son cher village et la garde en vermeil et une suite de feuillages où dominent le chêne et le laurier. Telle était l’arme emblématique du successeur de Marcel PREVOST au sein de la prestigieuse assemblée créée par Richelieu.

L’HOMME – L’ECRIVAIN

Moustaches d’argent à la gauloise, œil bleu de cavalier de la Belle Epoque, cape flottante, feutre penché, entouré d’un nuage de parfum et de souriante amabilité, il était très élégant, tenant pour un devoir l’accord des tissus et des coloris.

Mondain et sceptique, gentleman et campagnard, son apparence un peu froide dissimulait pudiquement beaucoup de chaleur.

Ce patricien aimait naturellement le beau et le grand, les belles manières, le beau style, les belles choses et les belles œuvres, les sentiments rares et fins.

Son père était le dessinateur brillant et spirituel du « CHARIVARI » et de « L’ILLUSTRATION ». Aussi vécut-il dans les maisons d’artistes de ses parents à Paris, mais surtout dans celle de Nesles la maison des vacances.

« Nesles est partout dans son œuvre dira son successeur, Jean GUEHENNO, à l’Académie, lors de son discours de réception le 07 décembre 1962 ».

« Nesles la maison du lent mûrissement parmi de libres rêves, le temps des premières amours où il est devenu ce chasseur, ce cavalier, cet homme de plein air qu’il ne cessa jamais d’être, ce jardin et ce grand marronnier à l’ombre duquel il lut tous les poètes, Nesles où l’on avait tout le ciel au-dessus de soi, où l’on était ramené à soi, à sa vérité et où l’on ne pouvait penser qu’à ce qui importe ».

Lui-même écrit : « Nesles m’a fixé ; Nesles, son perpétuel bienfait pour moi. J’aime ce lieu : décor, scène, témoin de ma vie, lieu de ma rêverie longtemps, puis de travail. J’ai beau courir, me sentir appelé ailleurs, il m’y faut revenir pour m’y promener, me rassembler. Là je me sens vivre, et ailleurs je suis empoté, déraciné, débranché. Les amours me tiraient toujours en tous sens et à Nesles je refaisais mon monde et je retrouvais le vrai fil. Ma chance, j’ai bien vu cela de bonne heure. A 18 ans sur le plateau, à cheval, galopant, enveloppé de vent, fouetté d’air, je me sentais lavé, délivré ».

il a rapporté de la guerre (il s’est engagé volontaire en 1915) ses «carnets d’un Dragon » et ses « Bellicats » c’est-à-dire des tableaux psychologiques et des chants. Emile HENRIOT n’a pas été poète par occasion ni à un moment de sa vie. II a toujours rimé. Les poèmes réunis dans « la Flamme et les Cendres », dans «Aquarelles », dans « les Jours raccourcissent », « Tristis Exul » sont ceux d’un poète né. Il lui plait de songer, de chanter. Il a chanté ses amours et toutes les beautés de l’univers : les saisons, les arbres,             les heureux cieux.          Sa parole poétique découvre un fond qui n’est pas d’amertume ou d’aigreur mais de tristesse et de lucidité, une espèce de sérénité qui ne refuse pas d’être riante.

Ce juste sentiment des destinées humaines paraît dans la plupart de ses œuvres en prose jusque dans les gaîtés du DIABLE A L’HOTEL, jusque dans les drôleries de Sylvain DUTOUR et dans les heureuses et mélancoliques évocations des TEMPS INNOCENTS. Dans ce VALENTIN qu’on a pu comparer à l’ADOLPHE de Benjamin CONSTANT le pessimisme l’emporte, l’auteur semblant accablé par le poids de ses fautes et de leur fatalité.

Il rendra de la bienfaisante volonté de l’être humain son rôle difficile limité mais efficace dans cette Aricie BRUN ou les Vertus Bourgeoises, livre couronné par le grand prix du roman de l’Académie Française en 1924 (il a 35 ans) et qui est à cette date son chef d’œuvre.

Il y a aussi Emile HENRIOT critique celui que l’on lisait chaque semaine dans le courrier littéraire du MONDE où il se révèle admirateur de LA FONTAINE, de RACINE, de VAUVENARGUES, de SAINTE BEUVE, de STENDHAL, et plus près de nous de Paul-Jean TOULET.

Il a écrit dans une belle forme qui a de la souplesse, de la fermeté, de la musique onze romans peuplés de frères qui lui ressemblent, de créatures qui furent ses songes.

LE PRESIDENT DE L’ALLIANCE FRANÇAISE

Mais il n’apportait pas seulement à l’Académie son savoir et son dévouement. Il assurait avec autant de compétence que d’ardeur, la succession de Georges DUHAMEL à la présidence de l’Alliance Française.

Pour cette alliance, après la guerre, alors qu’on pouvait craindre que notre langue n’apparut moins généralement nécessaire aux peuples de la terre, Emile HENRIOT, à la soixantaine, parcourut   plus  de    300 000 kilomètres du nord au sud de l’Afrique, de l’Orient à l’Occident de l’Islam, d’un bord à l’autre des deux Amériques, du voisinage européen à la pointe extrême de l’Asie, ouvrant des écoles, inaugurant des chaires magistrales et faisant en sorte qu’après avoir aidé à ce que la France conservât son droit à la parole qu’elle exerçât efficacement ce droit.

Tant d’activités confondues car il fut aussi nommé en 1949 Administrateur du Centre Universitaire Méditerranéen. Il s’y montra là aussi un mainteneur de la culture française et latine et appela de nombreuses personnalités à y donner des conférences.

Il demanda en outre à des gouvernements étrangers de fonder des chaires pour faire connaître la vie culturelle et les écrivains de leur pays.

Il développa pour les étudiants étrangers les cours de langue et de civilisation française, faisant de ce centre universitaire un foyer intellectuel au rayonnement international.

EMILE HENRIOT LE VILLAGEOIS DE NESLES

Dans certains chapitres, de ses ouvrages « Au Bord du Temps » et « On n’est pas perdu sur la Terre », Emile HENRIOT créait un véritable climat neslois.

A cette fin, il a fait surgir une foule de personnes, figures que nous reconnaissons par les noms ou les surnoms qu’il leur attribue ou d’après une attitude caractéristique.

Notre petit pays apparaît comme un grand livre où tout le monde lirait familièrement. On y retrouve le notaire, officier public qu’il nous dépeint dans son honnêteté mais aussi dans son inquiétude, à l’époque, des progrès du bolchevisme en Europe.

Il admire le curé l’Abbé RABOURG « celui-là était un saint ». Pendant la guerre et l’occupation, il prenait la radio anglaise toutes fenêtres ouvertes, il tenait tête aux allemands. « Voilà comment j’aime les prêtres ».

Il connaît tous les employés communaux et le fossoyeur LAFFORGUE « le fossoyeur au cimetière creusait une tombe dans le sol pierreux par une chaleur accablante. Je le regardais en le plaignant « c’est dur ? » « Oui me dit-il, il y a de quoi crever » !

Il fait appel à MANDAR, le journalier à toutes mains. Comme chaque année à l’automne, il attend la venue de MANDAR le tâcheron scieur de bois. Il aime renifler l’odeur de la sciure humide,  aider à empiler les bûches et écouter l’instructif et amusant bonhomme fertile en histoires.

Il admire l’habileté de HURTRET, l’ébéniste qui lui restaure avec talent deux lits anciens.

Dans le pays, il aime les petites servitudes de l’homme seul et libre, et quand il se rend au pain ou au lait, il est sensible aux saluts respectueux de ceux qui  l’appellent  « Monsieur Emile».

Il est heureux de rencontrer AUBRY le restaurateur de tapisseries anciennes, PARAGE l’adjoint au maire ou Madame PACOT rentière de son état et figure de proue de la bourgeoisie nesloise.

Il retrouve avec plaisir l’infirmière Léa qu’il a toujours connue « Léa, petite, redressée, l’œil fier. Léa donnait ses soins à tout le pays, montant des gardes, faisant des piqûres, veillant les malades, fermant les yeux aux défunts ».

Au Restaurant des Artistes où il déjeune quelque fois il admire le fils du traiteur « un gamin de 10 ans à l’air malin et déluré qui débouche en un tour de main une bouteille de Beaujolais ».

A son ami George, le fermier de FONTENELLE qui lui demande ce qu’il faut penser de RENAN, il promet de lui offrir Ma Vie de JESUS.

Emile HENRIOT a su ressusciter l’atmosphère d’un village comme tant d’autres. Mais atmosphère unique, irremplaçable, parce que ce village est celui-là même où l’on a vécu, où l’on est profondément enraciné et cet attachement viscéral, tellurique il l’a toute sa vie ressenti.

A Nesles, Emile HENRIOT a vécu dans cette demeure du XVIIè siècle sobre et un peu austère proche du jardin de son père. Ce grand lettré, cet humaniste était « un honnête homme » qu’on admire d’avoir maintenu un parfait équilibre d’action et de culture, de science et de goût.

Mais il redoutait la mort et par-dessus tout l’oubli.

Il l’exprime dans ses derniers vers :

« Le temps de la route passée

Qu’un regard me rende à la vie

Hommes à venir, ma survie

Ne dépend que d’une pensée ».

L’évocation de l’anniversaire de l’accueil d’Emile HENRIOT sous le dôme d’une des plus anciennes assemblées d’Europe, ramène parmi nous, celui dont la pensée demeure mêlée à la nôtre et qui fût un Gentilhomme des Lettres, un seigneur de l’Esprit.

 

Me Albert GOUJAT,

Avocat honoraire à la Cour

P.S : il apparaît également opportun de signaler que dans un ouvrage de luxe édité en octobre 1959 par « les Bibliophiles d’île de France », tiré à 150 exemplaires, magnifiquement illustré par le peintre graveur Marguerite MACKAIN-LANGLOIS, intitulé « Images de Nesles », Emile HENRIOT qui y a réussi ses meilleurs textes, nous entraîne dans une promenade poétique à travers notre village et ses proches environs.