LE DOCTEUR NOËL LEBETTRE
MEDECIN DE CAMPAGNE
EXEMPLAIRE PATRIOTE-RESISTANT- HUMANISTE
C’était un homme de bien…
L’expression était souvent usitée durant ma jeunesse. On ne l’entend plus guère sans doute parce que les occasions se font plus rares.
Elle m’est revenue à l’esprit en évoquant la belle figure du Docteur LEBETTRE, médecin d’exception, mon voisin pendant près de cinquante ans et à qui me liait une foncière sympathie.
Il n’est guère de foyer à Nesles où sa disparition en 1989, n’ait été ressentie avec chagrin et d’où est monté vers lui un sentiment de gratitude. On disait « le bon Docteur » et tout était dit. Noël LEBETTRE était de ces médecins de campagne qui mêlaient intimement science et humanisme.
Il naquit à Melun le 1er décembre 1913 dans une famille qui lui a offert le spectacle quotidien de la ténacité au travail, du sens de l’effort et de la patience. Trois vertus qui l’inspireront plus tard dans sa vie difficile de médecin.
1939 : son internat est terminé, mais les nuages s’amoncellent sur le pays et la guerre éclate. Jeune médecin militaire, il est appelé en mai 1940 sous les drapeaux, mais ils sont déjà en berne. La drôle de guerre a tourné au désastre, tragédie du naufrage de la patrie dans la débâcle de l’autorité publique et de la volonté nationale.
Début 1941, il s’installe à Nesles dans cette demeure où le précédèrent le grand violoniste ZIGUERA et l’écrivain Roland DORGELES. Ce n’est pas seulement une maison et un beau jardin, c’est un îlot toujours accessible habité par celui qui a la passion de soigner et de guérir avec un dévouement et une générosité sans pareil. La clientèle accourt.
Pour Noël LEBETTRE, la médecine était sa chose. Il était et voulait rester médecin. Il estimait surtout que le médecin dépourvu de sensibilité est incapable de sentir ce qu’éprouve, au plus profond de son être, le malade.
Pour lui, le médecin doit comprendre aussi les douleurs morales de son patient, essayer de les apaiser en se souvenant que ce qu’il a devant lui, ce n’est pas un corps fait d’organes divers mais un individu avec un esprit et ce je ne sais quoi d’indéfinissable que depuis Platon, on appelle l’âme.
Noël LEBETTRE fut aussi toute sa vie le défenseur d’une médecine libérale qui pour lui, doit rester un des réduits de l’individualisme en péril. La culture humaniste voilà ce qu’il voulait pour ses jeunes confrères. « Avec une culture scientifique disait-il souvent, on fait d’excellents techniciens mais vous ne ferez des hommes qu’avec la culture humaniste ».
Quel était donc le secret du Docteur LEBETTRE ? La sûreté de son jugement, de son diagnostic précédé toujours d’un entretien sans doute mais aussi ses qualités humaines, le rayonnement de sa personne et de son dévouement sans limite qui le rendait disponible nuit et jour.
Cette générosité s’appliquait à tous. Qu’ils fussent grands ou qu’ils fussent humbles, il répondait immédiatement à leur appel. Il n’hésitait pas à accourir en pleine nuit au chevet de l’un d’eux. A ceux qui étaient hospitalisés, il rendait de réconfortantes visites et il était souvent présent au bloc opératoire.
Pour le Docteur LEBETTRE la médecine, art et science réunis, était la discipline parfaitement humaine. Tous, nous avons pu observer sa bienveillance, sa sensibilité, son effort pour se mettre à la portée de son patient. En lui, battait un vrai cœur d’homme, d’un homme qui avait ressenti, exprimé tous les états, toutes les angoisses, tous les bonheurs, tous les malheurs de notre condition et qui par-là, nous était infiniment fraternel.
Durant les années douloureuses qui suivirent la défaite, Noël LEBETTRE fut patriote et résistant avec conviction, on peut même dire avec acharnement. Ces titres aujourd’hui démodés aux yeux de certains de nos contemporains, il les mérita et les rehaussa avec éclat. Nul plus que lui n’a souffert de la défaite de 1940. il fut l’un des premiers à en relever appel, à se ressaisir et ce dès son installation à Nesles en janvier 1941. Alors tout redevint clair et son devoir lumineusement tracé.
Sa devise était « mon pays est une France qu’on n’envahit pas ».
C’est ce patriotisme qui le soutint tout le long des années noires et fortifia son comportement. Il a fait partager par tous, quelquefois imprudemment, ses indignations et ses certitudes.
Il diffusa des journaux clandestins et comme médecin du maquis (à Ronquerolles, à Hédouville, au Ménillet) en liaison avec ses confrères Jacques FRITSCHI de Beaumont et ANDRIEU de Neuilly en Thelle (mort en déportation). Il côtoya volontairement de grands dangers.
Pendant les affreux hivers de l’occupation que de fois les jeunes de Nesles de ma génération menacés par le S.T.O. allaient vers lui chercher la protection, l’apaisement, le réconfort. Il communiquait la foi qui ne l’avait jamais abandonné. Il les aidait à différer leur comparution devant les commissaires de réquisition pour le travail obligatoire en pays ennemi.
Il soignait les aviateurs alliés, blessés et recueillis par les courageux Emile VAILLANT de Vallangoujard, Octave GEORGES de Fontenelles ou DIETTE de Messelan.
Il coordonna avec fermeté l’action de la résistance dans notre petite vallée. Président du Comité de Libération de Nesles (dont j’étais le secrétaire), il accueillit les alliés le 29 août 1944, accompagné d’Emile HENRIOT, le cœur gonflé d’une bondissante allégresse et d’une immense espérance.
S’il pouvait voir aujourd’hui avec quelle piété, quelle admiration, quelle reconnaissance, ses concitoyens parlent de lui, il aurait le sentiment d’un pari gagné sur la vie, d’une victoire remportée sur la mort.
Avec cette modestie, cette discrétion qui sont la marque d’un humaniste, il nous a laissé ce qu’il aurait à la fois aimé nous donner et détesté qu’on en parlât : UN GRAND EXEMPLE.
Maître Albert GOUJAT Avocat Honoraire à la Cour