X – Les délits mineurs

HISTOIRE D’UN VILLAGE SANS HISTOIRE

Xème épisode:

LA COMMUNAUTE DES HABITANTS DE NELLE

Les délits mineurs.

 

Les délits au cabaret étaient insignifiants. Ce n’est pas qu’on manquait dans le pays de vin, ni de cidre; les plants de vigne(1) et de pommiers y étaient au contraire abondants et fructueux, mais la population aimait la maison et vivait en famille. Nos rustiques laboureurs du Vexin français fuyaient la guinguette si chère aux régaleurs du petit vignoble  parisien et se distinguaient – précieuse qualité qu’ils ont conservée- par une sobriété exemplaire.

Les deux seuls cabaretiers établis à NELLE, avant la Révolution, tiennent une bien petite place dans la chronique locale.

 

L’un deux Robert CAFFIN, subit une légère amende pour avoir donné à boire, un dimanche avant la fin des vêpres, à dix joueurs de tamis. L’enseignement qui ressort de cette aventure, des habitants du village au XVIIIème  siècle. Une société  composée  de membres des deux sexes reste attablée un soir au cabaret après l’heure réglementaire; il en coûte dix livres aux hommes et cinq livres aux femmes pour cette contravention. Aujourd’hui on est plus galant vis-à-vis du beau sexe; en pareil cas c’est le cavalier seul qui paie.

 

Enfin l’un des cabaretiers qui est en même temps bedeau de la paroisse, à l’audace de servir à boire à des quidams pendant la grand’messe, comble d’indécence qui peut le mener loin et contre lequel fulmine  le procureur fiscal. Le délinquant s’en tirera néanmoins, grâce à de puissantes protections, avec un petit écu !

Les délits de chasse ont un peu plus de relief et sont plus réputés.

Nous allons dire un mot, en passant, d’un thailleur de pierres qui se nommait POCHARD et d’un bedeau qui était saucisseur (2) .

 

Pour ne point faire de jaloux, nous consacrerons quelques lignes au sieur POCHARD qui est manouvrier et  au bedeau qui est cabaretier. Notre Pochard neslois s’approvisionne de vin à la bouteille pour le prix total de 18 livres 15 sols chez le sieur Pierre BOUCHEROT, cabaretier bedeau. Que ledit Pochard vide lestement ses flacons, rien de plus naturel; mais qu’il refuse d’en payer la facture, c’est au moins incorrect. Le prévôt, jugeant que c’est contraire à la loi, condamne sans hésiter le consommateur à payer sa consommation.

 

L’affaire jusqu’ici n’est qu’ordinaire, mais elle se complique bientôt, ainsi qu’on va le voir d’une question de complicité morale et de responsabilité effective.

Le père Pochard, un peu détraqué par l’abus du jus de la treille, ne surveille pas assez son garnement de fils, encore mineur, qui  prélève effrontément des œufs de perdrix rouges dans les sainfoins de la seigneurie.

Le sieur Jean Martin PRACHE, garde des plaisirs du seigneur de Nesle, pince le petit Pochard  en flagrant délit le 2 juin 1781 à neuf heures du matin et lui dresse procès- verbal. Le cas est sérieux et sur le réquisitoire du procureur fiscal, le juge de la prévôté prononce la sentence suivante que nous retranscrivons intégralement en respectant l’orthographe du moment :

        Il est fait déffense audit Pochard fils, de plus à l’vave,nir, dénicher des œufs de perdrix rouges dans l’étendue de la terre et seigneurie de NELLE et pour ledit Pochard père l’avoir souffert faire à son dit fils et l’avoir fait par ledit fils, les condamnons solidairement à cent livres d’amende applicables au domaine util(sic) de la seigneurie de NELLE.

Au paiement de laquelle amende nous disons qu’ils seront contraints par toutes voyes dues et raisonnables et même ledit Pochard fils, par corps suivant l’ordonnance.  POTEL

 Quantité de documents de cette époque établissent qu’il y avait des perdrix rouges, non seulement à NELLE, mais à l’Isle-Adam, à Cergy et dans beaucoup d’autres paroisses de l’élection de Pontoise. Quel secret merveilleux possédait  donc le garde de ce temps pour conserver, dans  la contrée, un gibier rare et estimé que nos Nemrods modernes sont impuissants à y acclimater ?

Un agent rural, le sieur BOURDEL, que nous avons vu élire par la communauté des habitants aux fonctions de pasteur (berger) communal, abusant du privilège qu’il a de parcourir les champs et les bois à toute heure et en toute saison, s’amuse à tendre des collets,  au mois de janvier et à trois heures et demie du soir, dans la garenne de NELLE. Le vieux garde PRACHE le surprend et lui dresse illico procès-verbal.

 

Cy, cent livres d’amende, que le collecteur sera contraint de payer au domaine utile ,par toutes voyes dues et raisonnables suivant l-‘ordonnance.

 

C’est ensuite le fils d’un sieur BINET, manouvrier, qui se fait prendre en flagrant délit de chasse en battue;  puis encore, le fils de la veuve DUFOUR qui chasse au fusil dans les bois et qui, friand des truites légendaires du Sausseron, pêche à l’épervier, dans la rivière qui serpente dans la vallée.

Nous n’en finirions pas, si nous voulions, de consigner ici tous les délits de chasse qu’explique une abondance extraordinaire de gibier à cette époque. C’étaient généralement des jeunes gens mineurs qui commettaient ces délits et les parents étaient toujours déclarés solidaires et responsables de leurs enfants. Ah, la belle époque !

L’amende de 100 livres établie par l’ordonnance de 1666 était invariablement prononcée par le juge, mais très rarement payée par les délinquants.

On s’acquittait en passant quelques jours dans un petit local attenant à la demeure du concierge du château et servant de geôle, vu l’état de délabrement de la prison de NELLE.

 

(1)    La culture de la vigne a été très prospère à Nesles jusqu’au milieu du 19ème siècle.

(2)    On parle encore dans le pays d’une récolte merveilleuse de 500 pièces* de vin en 1848.    Depuis cette époque la production s‘est progressivement ralentie d’année en année ; elle est aujourd’hui nulle.  Après la deuxième guerre mondiale, un agriculteur, Pierre DESCHAMPS, mon père, a planté, à titre expérimental et peut-être nostalgique, environ 25 ares de vigne. La première vendange, faîte avec l’aide de Robert HALLAY, eut lieu en octobre 1950 et donna  quelques ½ pièces* de vin. Le degré d’alcool variait suivant les années  entre 7° et 11,5°, ce qui lui permit, deux ou trois  fois, de  champagniser  une  toute petite quantité de la récolte. L’expérience s’arrêtera définitivement en 1970. Par contre, il subsiste encore, par-ci par-là,  quelques ceps de vigne, chez des particuliers neslois, qui offrent de belles grappes de raisin à leurs propriétaires. Ils se reconnaitront

(3)   Nom donné autrefois au charcutier.

 *Une pièce représente 220 litres environ.

 

Afin de vous aider à vous y retrouver et à vous faire une idée de la valeur des choses, voici quelques indications sur la monnaie et les impôts à la fin du XVIIIème siècle.

 

LA MONNAIE SOUS L’ANCIEN REGIME:

Les pièces de monnaie utilisées en France, à la veille de la Révolution, étaient fabriquées de trois métaux différents:

L’unité de compte est la livre (20 sols).

 La livre de 1786 peut-être estimée environ entre deux et trois Euros actuels.

 

MONNAIE :

                                     (pièce)                       (valeur)

 EN OR:                      – le double louis          48 livres

                                   – le louis                      24 livres

                                   – le ½ louis                  12 livres

 

EN ARGENT :           – 1 écu                        6 livres

                                   – ½ écu                       3 livres

                                   – 1/5 écu                     1 livre 4 sols ou 24 sols

                                   – 1/10  écu                  12 sols

                                   – 1/20 écu                   6 sols

EN  BRONZE:           – 1 sol                          12 deniers

                                   – ½ sol                        6 deniers

                                   – 1 liard                       3 deniers

 

1 louis d’or = 4 écus d’argent = 24 livres = 480 sols = 1920 liards = 5760 deniers.

 

LES PRINCIPAUX IMPOTS:

Droit censuel: réglé généralement en argent, il frappait toutes les terres roturières. Ce Cens était une sorte de loyer annuel que le paysan payait au seigneur. Il était inaliénable, irrachetable, Insaisissable. Mais le censitaire pouvait s’affranchir de ce droit par le déguerpissement, il cédait alors la terre à un autre moyennant un droit de lods et ventes qu’il percevait.

La taille: impôt direct établi de façon permanente dès 1439. Le Roy et son conseil en fixait le montant chaque année. La taille frappait en premier lieu les paysans et les roturiers. Les terres d’origine roturière devaient acquitter cet impôt, même si les possesseurs de celles-ci étaient des privilégiés (communauté religieuse, noble, etc). Les terres relevant d’un fief en étaient exclues.

Le Vingtième: impôt direct. Il touchait tout le monde, noblesse et clergé compris. Créé en 1749, il frappait tous les revenus d’un taux de 5%. Mais pendant les guerres, il fut doublé ou même triplé.

La Dîme: impôt en nature ne correspondant pas forcément au 1/10ème, mais pouvant se situer entre 1/8ème  et le 1/30ème selon les cultures et les conditions physiques du terrain. Ce qui donnait lieu à des contestations innombrables. Fabuleuse source d’enrichissement pour l’Eglise, dont le montant s’établissait, avant la Révolution, dans une fourchette approximative de  70 à  133  millions de livres.

L’Octroi: impôt qui frappait toute denrée entrant dans une ville, et qui souvent représentait la ressource la plus substantielle de certaines municipalités. Il frappait aussi tout objet destiné à la consommation locale (aliments, boissons, bois, bétail, etc…)

Le Champart: droit seigneurial. Prélèvement d’une partie de la récolte: du quart au 1/20ème. Quand il s’applique à la vigne il s’appelle carpot.

 

Entre nous, qu’est-ce qui a changé depuis l’Ancien Régime ?…

 

Propos recueillis par Jean DESCHAMPS