VII – La justice à Nelle à la fin du XVIII ème siecle

HISTOIRE D’UN VILLAGE SANS HISTOIRE

VII ème épisode

LA COMMUNAUTE DES HABITANTS DE NELLE

La justice à Nelle à la fin du XVIIIè siècle

 

 Abordons maintenant l’élément civil de la paroisse de NELLE….

La population  d’une paroisse de l’ancien  régime, considérée au point de vue civil ou municipal, s’appelait «  la Communauté des Habitants ». Dans le langage administratif on disait: les Communautés de campagne (quel joli nom !).

Ces communautés prenaient corps d’institution et se manifestaient régulièrement dans des assemblées générales annuelles ayant une origine séculaire.

Tous les ans, en effet, à la requête  du syndic élu par l’assemblée précédente, les habitants d’une paroisse convoqués au son de la cloche, se réunissaient le dimanche à l’issue de la meffe parochiale  ou à la sortie des vespres  à l’effet de délibérer sur les intérêts de la communauté.

En principe,  tous les paroissiens étaient admis; en fait, aux termes de trop rares procès-verbaux, ces assemblées se composaient de  la plus seine et grande partie

de la population.

On s’assemblait  au devant de la porte et principale entrée de l’église, hors le lieu  saint  ou sous les grands arbres de la place publique, sous la Quesnée selon l’expression normande. En cas de mauvais temps, nos bons paysans, soucieux de ménager leurs vêtements du dimanche, se retiraient dans la sacristie. En certaines circonstances, ils s’adossaient au mur du cimetière.

 

Compte que Rend et présente par devant Mtre Jean-Baptiste Le Quen prêtre Curé de la paroiffe de St-Simphorien de Nesles et par devant Jean Bouché marguillier en charge, les anciens marguilliers et autres principaux habitants de laditte paroiffe souffignés, au bureau de l’œuvre et fabrique dudit nesles, le dimanche vingt six janvier mil sept cent quatre vingt troy, en l’affemblée annoncée au prone de la meffe paroiffialle et convoquée au son de la grosse cloche à l’iffue des complies en la manière accoutumée Louis GERARD vigneron audit nesles,  de la gestion, maniements recette et dépense par lui faite en cette qualité pendant l’année commencée au mois d’octobre 1780 et finie à pareil mois en l’année 1781.

 

Les questions soumises aux délibérations et aux votes des assemblées générales étaient importantes et multiples. Elles décidaient les ventes, les achats, les échanges et la location des biens communaux, la réparation des églises, des édifices publics, des chemins et des ponts.

 

Outre leur syndic, elles nommaient leur maître d’école, leur pâtre, leur sergent, leur messier, les assesseurs et les collecteurs des tailles (1). Ces attributions considérables échappaient de droit et d’usage à tout contrôle;  à toute intervention du seigneur de la paroisse. C’est en pleine puissance et liberté que les assemblées générales des habitants réglaient et administraient les affaires de la Communauté.

 

Nous venons de voir qu’elles nommaient annuellement les assesseurs et les collecteurs de taille. Ces nominations se faisaient parmi tous les habitants et à tour de rôle. Dans la pratique les paysans répartissaient entre eux la quotité de l’impôt réclamé par l’état, en opéraient eux même le recouvrement et en versaient le produit ès- mains du receveur des tailles établi au siège de l’élection.

 

L’Œuvre compliquée, pleine de difficultés et de déboires de l’assiette et du recouvrement des impôts, était soumise au contrôle de l’état qui avait autrefois, la tutelle des Communautés de campagne, comme il y a de nos jours, la tutelle de nos communes. L’exercice de ce contrôle était confié au tribunal de l’élection dont les juges portaient le nom d’élus et connaissaient  toutes les affaires fiscales du ressort de l’élection.

Ce tribunal désignait chaque année deux de ses membres à l’effet de se rendre dans les paroisses  rurales, d’assister et de concourir à la confection des rôles des Communautés. Les rôles terminés, le tribunal désignait dans son sein un commissaire aux rôles  chargé de convoquer spécialement l’assemblée générale des habitants et celle-ci, sous la présidence du syndic, discutait et votait librement le répartement* des contributions de la Communauté.

 

Le peuple des campagnes participait donc de la façon la plus directe et la plus démocratique à la gestion de ses affaires, tant financières qu’administratives. Tout habitant se prétendant lésé dans ses intérêts, pouvait présenter ses réclamations devant l’assemblée générale,  coram populo (en présence du peuple).

Il lui était loisible, en outre, de les porter en première instance, au tribunal de l’élection et en appel à la cour des Aydes.

L’intendant de la province, par l’intermédiaire de ses subdélégués, accueillait également les doléances des habitants; telle était, à grands traits, l’organisation des communautés d’habitants avant la Révolution. Examinons-en le fonctionnement particulier dans la paroisse de NELLE en l’année 1783.

L’assemblée générale de la Communauté s’était tenue au mois d’avril, en présence du commissaire aux rôles délégués, Me Tiphaine, l’un des juges du tribunal de l’Election de Pontoise (2).

Après l’algarade annuelle et obligée faite aux collecteurs, porte-rôles  et porte-bourse, par le sieur Chapron, receveur des tailles de l’élection, au sujet de retard du paiement du dernier quartier, on avait, sans débat orageux, voté le répartement des contributions. L’assemblée, sous la présidence de Me Thomas Hutin, meunier du moulin de Verville,  Syndic, avait procédé à l’élection du syndic pour l’année 1784,  ainsi qu’aux nominations diverses qui lui étaient réservées. Le sieur Bourdel avait été désigné comme berger du troupeau communal et le sieur X comme sergent de la communauté.

Enfin l’inévitable messier (3) avait reçu sa commission annuelle et ordinaire homologuée en ces termes par Me le Prévôt:

 

19 avril 1783 – Vu par nous Potel—, la nomination faite par les syndics perpétuelle et annuelle, marguilliers et habitants de la paroisse de NELLE du Sr Jacques Bouresche pour messier des bleds**et seigles, orges, avoines, mais et bisailles(4)luzernes et bourgognes croissant en la présente année sur le terroir de  NELLE jusqu’à la récolte d’iceux, à l’effet de veiller à la conservation des dits grains tant par rapport aux bestiaux que des passants qui pourraient les endommager — avons confirmé ledit Bouresche aux dites fonctions.       POTEL

 

Tout étant en règle du côté administratif, il nous reste à examiner l’état de la communauté au point de vue matériel et moral.

M. Pihan de la Forest, subdélégué de l’élection de Pontoise, dressant précisément en 1783- les statistiques du village de NELLE, y signale l’existence de:

–  167 feux  (environ 900 habitants) ***

–  102 chevaux,

– 184 vaches,

– 360 bêtes à laine.

 

Ce tableau nous met en présence d’une population exclusivement agricole.

Tant de bêtes pour si peu de gens, cela indique évidemment, quelle que soit d‘ailleurs la répartition des animaux domestiques, qu‘il n‘est guère de ménages n‘en ayant quelques uns en sa possession. Sauf, en effet, la dizaine d‘artisans et marchands établis traditionnellement au centre de la paroisse, on ne rencontre à NELLE, à l‘époque où nous nous y présentons, que des fermiers plus ou moins importants et des laboureurs de terres et de vignes plus ou moins prospères (5).

 

Nous ne parlerons  que pour mémoire de l‘intéressante industrie des nourrissons qui procurait accessoirement un bien-être modeste mais recherché à un grand nombre de ménages de la localité. Ces nourrissons,  pour la plupart venus de Paris, appartenaient aux classes moyennes de la capitale. Nous avons remarqué que le quartier de la Courtille, paroisse St Jean de Belleville, la rue du bout du Monde, paroisse St Eustache, et le village de Montmartre envoyaient plus particulièrement leurs nouveaux nés à NELLE, et que la nourrice la plus en vogue, sinon la plus heureuse, car elle perdait beaucoup d‘enfants, était Marie- Jeanne Fleuriet, femme de Pierre Jolibois. N’oublions pas dans le but d‘être utile aux biographes neslois, un groupe d‘artistes sculpteurs parisiens qui avaient adopté notre village pour l‘élevage de leurs enfants et citons parmi eux Robert-Alexandre Noisel, maître sculpteur à Montmartre, Charles-Louis Morisau, sculpteur du roi, et Louis Benoît, maître sculpteur, rue du Bout du Monde.

Propos recueillis par Jean DESCHAMPS.

 

(1) Le village sous l’ancien régime par Albert Bateau.

(2) Voici quel était,  en 1783, le personnel composant le Tribunal de l’Election de Pontoise:

  •  Président:  Me Pierre-Hugues- Elisabeth-Fontaine-Desnoyers.
  • Membres:  MM. Bardin, Tiphaine, Caron, Musquinet, J-B Depuis et Petit
  • Greffier en chef: M Jean – Antoine Delacour. 

(3) Du latin,  messis, moisson. Homme préposé à la garde des fruits et des  récoltes de la terre, à l’époque de  leur pleine maturité. Disparus ? Non, mais  presque oubliés. Ces fonctionnaires sont depuis l’an 1369, sous Charles V, des agents chargés à l’origine de la surveillance des récoltes et de  la police des campagnes. La Révolution française les a confirmé, Napoléon les avait rendu obligatoire dans chaque commune (par la loi du 20 messidor an III, vite revue pour cause de contraintes budgétaires). Le développement récent des polices municipales a concouru à les escamoter du paysage rural. Leur nombre ne cesse de régresser puisqu’il n’en existe plus qu’environ 2500 à l’heure actuelle. Les préjugés qui s’attachent à leur profession, souvent vue comme accessoire, leurs prérogatives mal connues, ont contribué à détourner les petites communes  de ces fonctionnaires territoriaux que sont les gardes champêtres.  A l’heure où la police municipale manque cruellement d’une section verte, verra-t-on réapparaître un jour ces connaisseurs du monde rural ?

(4) Culture fourragère mixte composée de vesce ou de pois avec comme support de développement du seigle ou de l‘avoine.

(5)Le prix du travail: il dépend essentiellement de la région, de la saison et des conditions d’emploi (employé nourri ou non, logé ou pas, etc ). La moyenne s’établirait aux alentours de 19 sols par jour, mais avec des variations se situant dans une fourchette de 6 à 40 sols/jour. La livre de pain vaut dans les villes entre 3 et 4 sols; en octobre 1789, le prix du pain va atteindre 18 sols les 4  livres.

  • La livre de sel: 1 sol
  • la bouteille de vin rouge: 4 ½  sol
  • La livre de bœuf ou de mouton : 7 sols
  • La douzaine d’œufs: 9 sols
  • La livre de beurre: 16 ¾ sols
  • La livre de café: 27 sols
  • La livre de fromage: 9 sols
  • Une volaille, à la pièce: 22 sols.

 

*       De répartir. Ensemble des opérations relatives à la répartition de l’impôt dans les degrés supérieurs à celui de la répartition individuelle.

 **     Le bled, comme on l’écrit alors, est l‘élément nutritif de base des Français. Les paysans en mangent encore plus que les citadins. A Paris la moyenne quotidienne par habitant se situe aux environs de 590g.  Le pain entre pour 58% dans l’alimentation,  25% pour la viande et le poisson,  7% les produits laitiers et 10% les boissons. La moyenne calorique est très basse, 2300 par jour.  Elle se situe aujourd’hui entre 3500 et 4000. Un kilo de pain représente 2500 calories.

 ***  Unité fiscale, permettant approximativement de connaître le nombre d’habitants. Ce nombre varie de une à plusieurs personnes, quatre ou cinq en moyenne, on ne peut tirer que de très vagues renseignements.