VI – Les curés du Marquisat de Balincourt

HISTOIRE D’UN VILLAGE SANS HISTOIRE

VI ème épisode.

 LES CURES DU MARQUISAT DE BALINCOURT.

 

Après la mort de Maître Philippe GUEROULT*, le 27 février 1769, ce fut Maître Jean-Baptiste LE QUEN**,  sieur vicaire de NELLE, qui fut appelé à la cure de notre village. On peut supposer qu’il était déjà en poste,  fin 1756 ,puisque son nom figure sur le compte-rendu de la Fabrique de NELLE en date du 5 janvier 1757.

A un curé belliqueux succédait un  curé pacifique qui exerça paisiblement son ministère dans la paroisse pendant environ vingt six ans ( de fin 1756 au début de 1783). Doué d’un esprit droit, d’un caractère conciliant, ce fut un prêtre respecté et écouté. Comme les gens modestes et utiles, il n’a pas d’histoire.

Toutefois, si fermée que soit sa vie, on y découvre des traits qui font honneur à sa mémoire. L’examen des dossiers de la justice de NELLE *** nous apprend que dans les affaires confuses et délicates, le prévôt le nommait fréquemment commissaire enquêteur ou arbitre et qu’il ne manqua jamais de concilier les parties adverses, également confiantes en son intégrité et son impartialité.

Tel humble charretier lui doit le gain de sa cause contre un maître hautain et redouté. On l’a même  vu mettre d’accord des paysans très montés, plaidant contre de rusés maquignons en génisses de la Basse- Normandie, sur des questions de vices rédhibitoires à la suite de l’achat des jeunes bovins.

C’est-ce qu’on peut appeler «  le comble de la conciliation ».

L’abbé LE QUEN ayant quitté NELLE, au milieu de  l’année 1783, fut remplacé à la cure de la paroisse par le prêtre Curé Jean BURGOT****.  Ce dernier était en  exercice depuis à peine trois mois quand s’accomplit le grand évènement aérostatique, qui fait honneur à notre si charmant village, et que nous n’avons garde de perdre de vue, au milieu des enquêtes variées exigées par notre programme  dans ce bulletin municipal et des vagabondages historiques imposés par la curiosité.

 

Le physicien Jacques CHARLES rendant compte de sa descente, le lundi 1er décembre 1783, dans la prairie entre NESLE et HEDOUVILLE, nous dira bientôt :

«   Je demandai sur le champ les Curés, les Syndics, ils accouroient de tous côtés ; il était fête sur le lieu ».(1)

Le lecteur veut-il nous permettre de lui présenter, dès maintenant, ces curés qui se rendent de toutes parts à la représentation, sauf à ne lui parler qu’un peu plus tard, dans les épisodes à venir, des autres acteurs et spectateurs, ainsi que de la pièce elle-même?

On en comptait trois: deux curés des environs et le curé de NELLE qui, rassemblés chez ce dernier, à l’occasion de la fête (2), s’en furent bravement franchissant les haies, sautant les ruisseaux et foulant l’herbe humide des prairies, à la rencontre du ballon. Le premier arrivé sur les lieux, le curé BURGOT, devait  s’y faire connaître par un coup de maître. Sa brillante conduite à ’’ l’atterrissement’’ du GRAND GLOBE va le signaler à la postérité et lui vaudra le surnom de Curé-Pupitre,  sur lequel nous nous expliquerons dans un autre épisode et que lui conserve encore de nos jours la tradition écrite.

 

Les deux autres prêtres qui suivirent le curé de NELLE, sur le champ d’honneur furent le sieur Charles PHILLIPET, curé de Frénois et le sieur  Pierre  LHEUREUX, curé d’HEDOUVILLE.

 

Du curé de  Frénois (3), nous n’avons rien à dire: sa présence à  l’évènement est toute fortuite et son éloignement relatif du pays le soustrait à nos investigations. On peut  simplement supposer qu’il était un ami du nouveau curé de NELLE  et que ce dernier  souhaitait lui faire découvrir sa paroisse à l’occasion de cette fête traditionnelle en sa nouvelle paroisse. Mais il convient que nous consacrions quelques lignes au curé d’HEDOUVILLE, en sa double qualité de très proche voisin et  de pasteur d’une des Paroisses du marquisat de BALINCOURT.

 

Les noms de ces deux curés, d’ailleurs, figurent sur le procès verbal  du 1er décembre 1783 et sont inscrits à juste titre dans les nombreux ouvrages consacrés, depuis la fin 1783,  à la navigation aérienne en reconnaissance de leur empressement à accueillir CHARLES et ROBERT dans la prairie de NESLE.

 

L‘abbé LHEUREUX,  installé à HEDOUVILLE depuis deux ans, n’avait point encore fait parler de lui. Il succédait au curé  BRICOGNE qui quitta la paroisse en 1781 et dont le nom eut plus tard un triste retentissement. Disons le tout de suite, pour expliquer la digression qui va suivre: ce qu’il y avait de plus intéressant dans le sieur LHEUREUX, c’était …son prédécesseur.

 

Le sieur  Louis Joseph Samson BRICOGNE,  après cinq années passées dans la modeste cure d’HEDOUVILLE, pris tout à coup d’une belle ambition, sollicita et obtint, en 1781, sa nomination à la cure de  Port-Marly. C’était se rapprocher de Versailles, de la Cour, du Roi, des Ministres, et passer sous l’administration enviée de l’archevêché de Paris. Pendant quelques années, le curé BRICOGNE tira sans doute gloire et profit de ce déplacement, mais la Révolution étant venue, lui fit perdre tous ces avantages en lui tranchant la tête. On  ne sait s’il mourut avec esprit, mais l’histoire rapporte le trait plaisant qui fut cause de son infortune.

Raillant la tyrannie des décrets de la Convention, il avait dit un jour à Port-Libre  ( nom révolutionnaire de Port-Marly) devant des commères qui se désolaient du malheur des temps:

«  Je ne sais pas si la Convention ne rendra pas un décret pour que le soleil se lève à l’heure où il se couche et pour qu’il se couche à l’heure où il se lève: comme aussi pour que les femmes  fassent des enfants tous les six mois, ajoutant que nous étions f..outus et que nous ne l’emporterions jamais sur les puissances alliées… »

Ces paroles rapportées au conseil général de la commune de Port Libre et transmises par lui au comité des recherches de la Convention devaient conduire le pauvre curé au tribunal révolutionnaire. Elles sont, en effet, relevées textuellement dans l’acte d’accusation de l’accusateur public.

Torquemada, qui se prétendait libéral, n’eut pas trouvé de quoi fouetter un chat  dans cette inoffensive raillerie;  Par-contre, Fouquier- Tinville, au nom de l’humanité et de la liberté, y vit un attentat horrible contre la majesté du peuple. Il demanda  la tête du curé et de cruels sectaires la lui accordèrent avec empressement.

 

En conséquence, le sieur BRICOGNE ex-prêtre (le malheureux avait lâchement et inutilement renoncé à la prêtrise pour sauver sa vie), fut décapité sur l’échafaud révolutionnaire le 25 messidor, an I I (mi-juillet 1794).

Ah! que le sieur l’HEUREUX,- il y a des noms prédestinés-  fut bien mieux inspiré en restant dans son  modeste presbytère d ’HEDOUVILLE où il mourut paisiblement en 1790.

 

Nous ne terminerons pas ce chapitre consacré aux curés du marquisat de BALINCOURT, sans dire un mot du vieux curé d’ARRONVILLE,  que madame de Genlis appelait « le saint » et qui donna si naïvement dans » le tour de la  conversion »  imaginé par le marquis de BALINCOURT.

Il s’appelait Denis CUQUEMELLE et administra, pendant quarante ans, la paroisse d’ARRONVILLE, d’où relevaient le château et la chapelle de BALINCOURT. Il mourut en 1782, un an  avant l’évènement qui nous amène à NELLE où son influence a pénétré et est encore toute puissante malgré sa mort.

On trouvera dans le texte de son acte de décès la raison de l’estime générale dont il avait joui pendant  toute sa vie et du culte voué par les honnêtes gens à sa mémoire.

1782 – 30 mai –

 Inhumation dans la nef, à l’entrée du chœur de l’église d’Arronville de Mre Denis Cuquemelle, ancien curé d’Arronville qu’il a régit pendant 40 ans avec tout le zèle et la prudence digne du Saint Ministère – Décédé le jour d’hier, âgé de 79ans, après avoir reçu tous les sacrements avec la résignation d’un vrai ministre  de J.C. Fondateur de l’école des filles d’Arronville et d’une somme de 100 livres (4) pour les pauvres.

Fondateur d’école et bienfaiteur des pauvres !

Ces glorieux titres ne sont pas rares dans le clergé de France à cette époque. Félicitons nous d’en avoir rencontré l’exemple dans notre contrée  où nous a conduit nos explorations.

Dans le prochain épisode, nous aborderons, si vous le souhaitez, le fonctionnement civil de notre paroisse, avant la Révolution.

Propos recueillis par Jean DESCHAMPS.

 

*             Son nom est LE QUEN et non pas LEQUEU.;

**           Est-ce bien  utile de rappeler, à nos fidèles lecteurs, qu’il n’y a aucun lien de parenté entre  feu  le curé de Nesle et notre sympathique Maire actuel ?

***   L’orthographe de notre village au cours des siècles sera l’objet d’une étude particulière. Si des concitoyens neslois possèdent des éléments pour étayer nos recherches, à l’avance je les remercie de m’en faire communication

****       Contrairement à ce qu’il est fréquemment indiqué, le Curé BURGOT est bien arrivé à NELLE au début de l’année 1783.En effet,le nom et la signature  du Curé LE QUEN figurant toujours sur le Compte-rendu  de la Fabrique de la Paroisse daté du 26 janvier 1783.

 

(1)      D’après le rapport verbal de CHARLES, à l’Académie des  Sciences.

(2)   Fête de Saint- ELOI,  patron de tout ce qui concerne le cheval: forgerons, maréchaux-ferrants, selliers, éleveurs, cavaliers;  est aussi le  patron des orfèvres.

(3)    On peut supposer qu’il s’agit du village de FRESNOY- EN- THELLE, près de Chambly, situé à deux lieues et demie, à vol d’oiseau,  du village  de Nesles.

(4)     La Livre , en Euros actuels,  peut-être évaluée entre 2 et 3 euros environ.