V – La Paroisse de Nelle

HISTOIRE D’UN VILLAGE SANS HISTOIRE

Vème épisode

LA PAROISSE DE NELLE

 

Le nom de paroisse, invariablement donné à tous nos villages n’avait pas sous l’ancien régime, comme de nos jours, une signification exclusivement religieuse. La paroisse dans les désignations géographiques de la vieille France, c’était l’agglomération d’habitants que nous appelons aujourd’hui la commune.

 

  1. une administration religieuse confiée au curé, entouré d’un conseil de fabrique et d’un marguillieren charge, tenant ses assemblées annuelles au banc d’œuvre. 
  2. une administration civile aux mains du syndic de la communauté des habitants, aidé des anciens et des notables du pays, tenant ses réunions générales selon le cas, soit devant le portail de l’église, soit au cime­tière.

 

 Pour la plus grande clarté de l’esquisse que nous vous proposons de donner de ces administrations, nous diviserons en deux chapitres notre étude sur la paroisse de NELLE.

 

Le premier sera consacré aux monuments religieux et au clergé, le second, à la communauté des habitants et aux affaires civiles.

Sans autre préambule nous nous rendrons à l’église, une charmante église, dit Eugène VIOLLET-LE-DUC, dont la construction remonte aux dernières années du Xllème siècle et qui s’est accolée à un clocher plus ancien (premières années du Xlème) de manière à placer le clocher sur le flanc méridional du choeur.

 

L’église de NELLE sous le vocable de Saint -Symphorien est classée parmi nos monuments historiques. Elle doit cet honneur et cette fortune à plusieurs dispositions remarquables que signale l’érudit architecte : à son clocher construit d’après les données romanes, l’un des mieux conçus et des mieux bâtis d’une époque fertile en beaux clochers, à la partie principale de l’édifice qui se recommande par la pureté de son style et la sobriété de ses ornements, à son beffroi, monument de petites dimensions, mais remarquablement étudié dans son ensemble et dans ses détails.

 

Les seigneurs de NELLE avaient leurs tombeaux dans le chœur de l’église de cette paroisse du côté de l’évangile.

On lisait encore, en1783, les épitaphes de Geoffroy de COEURET, de Jacqueline de la Salle, sa première femme, de Sébastien, de Louis de Coeuret et de Rosalie de Coeuret, femme de François TESTU, marquis de BALINCOURT. Tous ces tombeaux ont été détériorés par des Neslois un peu révolutionnaires.

 

A quelques centaines de pas de l’église Saint-Symphorien, au lieudit : La Vieille Rue (rue Marie Thièbault), il existait en 1783 un hôpital appelé la Charité des pauvres de NELLE, établissement fondé en 1712 par dame Marie Thibault veuve de l’honorable homme, Anthoine Drouard, vivant écuyer et capitaine au régiment de la marine. Pour honorer la mémoire de cette dame charitable, nous rappellerons les termes des dona­tions ainsi qu’elle les dicta le 29 mars 1712 « étant en son lit malade en sa maison de NELLE » à Maître Louis Bouillesse, notaire royal au baillage ville et châtellenie de Pontoise, résident à Labbeville.

 

donne et lègue, la dite dame, à la charité des pauvres de la paroisse de NELLE, sa maison sise

au dit NELLE, lieudit la Vieille Rue, jardin et héritage et toutes les terres à elle appartenantes, sises sur le terroir du dit NELLE, ensemble les rentes foncières et constituées qui lui sont dues tant à NELLE qu’à HEDOUVILLE pour établir et fonder un hôpital pour les dits pauvres malades.

 

Et pour accomplir et exécuter le présent testament, la dite dame testatrice a prié Madame de NELLE d’en prendre la peine, et pour l’accomplissement d’icelui, a prié et requis la dite dame de NELLE, sitôt le décès arrivant, de prendre tous les biens en sa possession.

 

D’autres générosités vinrent s’ajouter à celle d’un sieur Jean Claude Petit, ci-devant brodeur à Paris, demeurant à NELLE qui déclare donner

 

(Testament reçu par Maître Grandin notaire à Auvert) « pour le bouillon des pauvres de la paroisse entre autres choses une somme de 1200 francs remise à mes dits sieurs Coeuret, sei­gneur de NELLE, » pour en faire l’emploi en bien fonds, emploi qui fut réalisé en 1750 par Me François Testu marquis de Balincourt Seigneur de NELLE et administrateur honoraire de l’hôpital.

 

En 1787, le bouillon des pauvres de NELLLE possédait deux fermes louées a Claude et à Pierre Lefèbre, laboureurs audit lieu et une grande quantité de rentes dues par des particuliers. Le cueilloir des revenus de la Charité, dressé à cette époque par Antoine Prudhomme, receveur, porte à 375 I. 3 sols le montant de ces revenus.

 

L’établissement hospitalier de NELLE a disparu à la Révolution, mais l’immeuble de Mme Thièbault n’a pas été détruit; il porte encore le nom d’hôpital. C’est la propriété d’un particulier. Nous assisterons bientôt, non loin de cette maison historique, à la descente de CHARLES et ROBERT dans la prairie de NELLE.

 

Arrivons au clergé et avant de parler du curé en exercice en 1783, donnons un dessein de deux de ses prédécesseurs.

Messire Philippe Guéroult (1), le plus ancien des deux, exerçant le ministère en 1761 était un curé indépen­dant, voire quelque peu frondeur. Nous analyserons rapidement le procès qu’il soutint en la dite année contre le seigneur de NELLE et qu’il perdit.

Le procès dont s’agit soulève une question de droit féodal et repose sur les encensements à la messe et au cantique Magnificat réclamés par le seigneur pour lui et sa famille, honneurs refusés ou rendus de mauvaise grâce par le curé.

 

Le procureur du seigneur nous apprend dans ses écritures, pour messire de Balincourt, que ce dernier occupait un banc réservé dans une chapelle près du chœur du côté de l’évangile et avait en outre un fauteuil dans le chœur même de l’église ; mais comme il plaisait au marquis d’occuper certains jours son fauteuil du chœur, le curé rendait également à cet endroit ces honneurs, mais il n’allait point les rendre à la dite marquise et à ses enfants qui étaient placés dans la chapelle (2).

 

Mr et Mme de Balincourt, ne pouvant tolérer ce manque d’égard et ce mépris de leurs droits adressèrent de vifs reproches au curé qui parut reconnaître ses torts, mais, ajoute le procureur, l’esprit de révolte qu’il avait si souvent manifesté n’était pas totalement éteint; s’il le porta à rendre à madame la marquise les honneurs de l’église, ce ne fut qu’après avoir médité une manière aussi nouvelle qu’indépendante pour s’en acquitter.

 

En effet le jour de la Fête Dieu 1761 le curé, après avoir encensé la marquise de Balincourt, lui dit : Voilà, Madame, des grâces. Propos assurément très injurieux et très indécent s’écrie le procureur indigné.

Non content de ce méchant procédé, le curé poussant bien les choses à l’extrême, refusa les honneurs de l’église à la dame marquise le jour de la Pentecôte et le dimanche de la Trinité (17 mai 1761). Outré d’une telle audace, le marquis fit assigner le curé, le 20 mai suivant, par devant le lieutenant général de Pontoise pourvoir dire et ordonner que les arrêts et règlements concernant les droits honorifiques attribués aux sei­gneurs et dames, censiers et hauts justiciers des paroisses et à leurs familles seraient exécutés selon leur forme et teneur, réclamant finalement la somme de mille livres à titre de dommage et intérêts applicables au profit des pauvres de la paroisse:

 

Voici la sentence célèbre rendue contradictoirement par les juges du baillage de Pontoise le 14 juillet 1761 :

 

Il est ordonné que le marquis et la marquise de Balincourt et leurs enfants seront maintenus et conservés dans la possession de tous les droits honorifiques qui leurs sont dus et dont ils ont toujours joui. En conséquence il est enjoint au dit curé de se conformer à l’usage de la paroisse de NELLE et de donner à la dite dame marquise de Balincourt et à ses enfants dans leur chapelle, à côté du chœur, en leurs places ordinaires, l’encens des vêpres comme il leur a toujours été donné, savoir : trois coups à la dite dame marquise de Balincourt et un coup à chacun de ses enfants, soit que le marquis de Balincourt soit ou ne soit pas dans la dite chapelle, et dans le cas même ou s’étant placé dans son banc au chœur il y aurait été encensé. Il est fait deffense au dit curé de ne plus à l’avenir contrevenir au dit usage et pour l’avoir fait en manquant d’« encenser la marquise de Balin­court » les dimanches de Pentecôte et de la Trinité dernier dans sa dite chapelle en sa place ordi­naire, au cantique de Magnificat a vêpres, sous prétexte que le dit seigneur marquis de Balincourt n’était pas dans la dite chapelle et avait pris sa place dans le chœur, est condamné le dit curé à six livres de dommages et intérêts applicables du consentement du marquis de Balincourt aux pauvres de NELLE et aux dépens .

 Aux diverses particularités que présente ce curieux procès et aux détails instructifs que renferme la sentence du baillage royal nous ajouterons l’énumération complète des droits honorifiques dus au seigneur dans l’église. Le procureur du marquis de Balincourt s’explique clairement sur ce sujet dans l’avant-propos de ses écritures.

 Les causes de la jurisprudence des arrêts, dit cet homme de lois, ont attribué par des raisons aussi pieuses que solides au seigneur foncier et haut justicier des droits par distinction honorifiques dans les églises qui consistent dans l’eau bénite, l’offrande, le pain bénit, le banc permanent, la sépulture dans le chœur, la dite recommandation particulière par nom et surnom aux jours des messes parois­siales et les encensements à la messe et au cantique Magnificat.

 

Nous avons tenu à donner tous ces détails qu’on ne rencontre que très rarement aussi complets dans les archives seigneuriales. Notre curé était battu; huit ans après il était mort, non pas tué par le chagrin de ses impairs judiciaires, car cet homme d’esprit ne redoutait ni les avocats ni les procureurs ni leurs écritures; mais il mourrait de deux esculapes et d’un maire Purgon qu’il avait eu l’imprudence d’appeler à son chevet.

 Dans la facture, conservée aux archives, nous pouvons lire:

 du sieur Thiasse, maître chirurgien à Nsle-Adam… cy 144 It;

l’addition de Me Thomas médecin à Pontoise… cy 63 It;

le placet du sieur Bréchot apoticaire à Pontoise… cy 15 It;

 

c’est au total 222 livres tournois (3) qu’il en coûta au pauvre homme pour passer de la bradypepsie à la dys­pepsie, puis successivement à l’apepsie, à la lieuterie, à la dysenterie, à l’hydropisie et finalement à la perte de la vie.

 

Seul, le bon homme Argan pourrait supputer ce qu’il entre de saignées révulsives, capillaires ou blanches et de clystères insinuatifs, détersifs et carminatifs dans ce funestre total.

Allons rendre visite à la dépouille mortelle du curé de NELLE, en compagnie des officiers de justice de M. de Balincourt,

 

1769 – 27 février « Nous, Pierre Martin Levasseur, procureur au Baâge et autres sièges royaux à Pontoise, sur la réquisition parle procureur fiscal de haute, moyenne et basse justice de NELLE, en l’absence et indisposition du prévôt, nous sommes transportés avec lui et M. Pierre Cailleux, greffier des dites justices, assistés de Jacques Pierre Frère, huissier à verge au Chatelet de Paris, demeurant à Pontoise, en la maison presbytérale de NELLE où est décédé le jourd’hui dans la matinée M. Philippe Guéroult, curé du dit lieu, où, dans une salle en bas, ayant son entrée à gauche sur le vestibule, nous y avons trouvé le corps dudit feu sieur Guéroult exposé et, après avoir fait aspersion d’eau bénite et notre prière auprès du corps avons annoncé à Mr Jean Baptiste Defour prêtre curé de la paroisse de Fontenelle que nous avons trouvé dans le dit presbytère le sujet de notre transport »

 

Lesieur curé de Fontenelle déclare qu’il n’y a pas d’héritiers présents, remet le testament du défunt dont il est dépositaire, ès mains de Me Cailleux, notaire tabellion et greffier après quoi les scellés sont apposés en présence de Marie Anne Lefebre servante du curé et Paul Bertrand, cuisinier de Madame la marquise de Balincourt pour la conversation « des droits de qui de droit » et notamment de ceux d’une héritière présumée, mariée à un manouvrier demeurant à Lisieux.

 

Quelques détails sur l’inventaire du mobilier du curé de NELLE nous intéresseront. On relève dans la cham­bre du mort un égrand de cheminée en tapisserie, plusieurs autres tapisseries, trois dictionnaires français, latin et grec, une paire de boutons de manches « d’argent » garnis de diamant blanc ». Lite­rie, lingerie en abondance. Dans un tiroir d’une table : 12 doubles louis d’or de 48 It et un simple louis d’or de 24 It une somme de 216 It argent en écus de 6 livres et de 3 livres; une montre « à boite d’argent » des cuillers, des gobelets d’argent, etc…

 

Dans la cuisine : un tournebroche garni de sa chaîne, poids et cordes, deus lèche frites, un tableau à vaisselle, une culière à pot en bois, vingt plats, 80 assiettes unies et festonnées, trois saladiers, six verts à boire, un rouet à filer, etc….

 

Dans la cave; quatre demys-muids remplis de différentes récoltes trois autres demys-muids à guelbaye (4) plusieurs chantiers un cuvier, des sacs à blé appartenant au sieur Louis Dambry, laboureur à NELLE, etc…

 

La bibliothèque du curé n’est pas moins intéressante. En voici le catalogue et la prisée par Mre Frère huissier, et Mre Labitte, Curé d’HEROUVILLE, des volumes trouvés sur 5 tablettes de la bibliothèque.

 

L’inventaire du mobilier du curé de NELLE avait démontré que Mre Guéroult jouissait d’une certaine aisance, le catalogue de sa modeste bibliothèque atteste son orthodoxie et témoigne en faveur de son honorabilité professionnelle.

 Les jurés priseurs estimant à 20 sols une histoire universel de Bossuet; c’est pour rien !

 

Par contre, la curieuse orthographe des scribes est sans prix et nous nous empressons de cueillir cette nou­velle perle destinée à enrichir le précieux écrin où nous avons déjà enchâssé les archaïsmes plaisants du vicaire de Sannois et du curé de Mériel. Ne nous plaignons pas de rencontrer un trait de gaîté dans l’exposé forcément monotone de la librairie d’un curé de campagne.

  

  1. Nous faisons aimablement remarquer à nos fidèles lecteurs qu’il n’y a aucun lien de parenté entre le Curé de NELLE et notre sympathique Maire,
  2. On lit sur le registre des bancs de l’église de NELLE de l’année 1769 que le banc n° 1er dans la nef sous la chaire a été accordé à Madame la Marquise de BALINCOURT et ses ayants-cause sans autre explication. Du banc dans la nef sur l’allée de traverse vis-à-vis l’autel de Ste Marguerite,
  3.  LIVRE TOURNOIS -It – (4,5 gr. d’argent fin)- 20 sols ou sous- soit 240 deniers. Actuellement, on peut considérer qu’une livre a une valeur d’environ 25 euros (entre 20 et 30 euros, dires d’expert).
  4.   GUELBAYE: tonneau à gueule bée, c’est-à-dire défoncé par un bout.

 

  Propos recueillis par Jean DESCHAMPS