Le long séjour de l’écrivain Émile Henriot à Nesles, où il vint dès l’adolescence, est rappelé par une plaque apposée, après sa mort, sur le vieux mur d’enceinte de la Ferme des Quatre Tours, ancienne dépendance du château du comte de Châlon, saisi comme bien révolutionnaire, puis démoli au début du XIXe siècle (« Le château Perdu »). Ce que la plaque ne dit pas c’est que celui dont elle célèbre le nom repose pour toujours parmi nous, à côté de son père, et que c’est la longue fréquentation entre une famille et notre village qu’elle évoque pour le promeneur quelque peu averti. Nous ne nous intéresserons aujourd’hui, d’une certaine manière, que « par raccroc », à l’écrivain ; tant d’autres l’ont célébré bien mieux que nous ne saurions le faire. Contentons-nous de tenter de ressusciter, notamment à l’aide des textes que la mémoire du fils nous en a livrés, ce que furent la vie et l’œuvre du père, le dessinateur humoriste Henriot, dont les caricatures ont commenté les dernières années du xixe siècle et le premier tiers du XXe siècle.
Un jeune toulousain de 23 ans, Henry Maigrot (1857-1933) « monte à Paris »
« Je crois très fort au fait de la famille, parce que j’en ai eu une à qui je dois tout (fortune exceptée), et que je sais ce qui me vient d’elle et qui m’est bon. » C’est par cette déclaration qu’Émile Henriot ouvre un ouvrage de souvenirs : « Le Livre de mon Père », publié en 1938. Henry Maigrot est né à Toulouse, le 13 janvier 1857, d’un père bordelais et d’une mère pyrénéenne. C’est assez pour en faire un Gascon, origine qui, malgré un peu de sang vosgien dans l’ascendance paternelle, ne fût jamais reniée, et dont la tendance naturelle à un optimisme jovial et insouciant et l’accent savoureux continuèrent d’être consciencieusement entretenus pendant cinquante ans de vie parisienne. Dès sa petite enfance, dans des crayonnages puérils mais pleins de vie et de mouvement, le jeune Henry marquait un très net penchant pour les choses dessinées et peintes et, si l’on y ajoute un esprit prompt et très pétulant, se profilaient déjà les traits de caractère qui font le dessinateur humoriste. Alors que, vers les années 1877, devenu jeune homme, il étudiait avec quelque nonchalance à la faculté de droit de sa ville natale, il a pour compagnon le poète Laurent Tailhade avec lequel il fonde L’Écho des Trouvères où parurent ses premiers dessins où il égratignait M. Thiers et Mac Mahon.
« Le soir même du jour qui, à l’aube, l’avait vu débarquer de sa Gascogne natale […], il s’en fut voir Faust à l’Opéra, avec Reyer […] auquel il avait fait dans l’après-midi sa première visite. »
A l’entracte, Reyer, vieil ami de la famille, le présente, en ces termes, au ténor Pedro Gailhard, Toulousain lui aussi, qui venait de chanter le rôle de Méphistophélès : « Il faut présenter ce jeune homme à Véron, du Charivari ; il y a quelque chose au bout de son crayon ! » Dès le lendemain, (Henry a tout juste vingt-trois ans révolus), il se trouvait embauché, par le tout-puissant Véron, en exclusivité, à raison de trois cents francs par mois, pour prendre au Charivari, journal satirique, la succession de l’humoriste Cham. Notre jeune « hurluberlu » – ainsi qu’une amie de sa marraine l’avait surnommé – venait de faire, sous le pseudonyme d’Henriot, son entrée dans le cercle de ceux dont les noms défrayaient la chronique des mondanités parisiennes.
C’est là qu’il rencontra nombre de ceux dont il devait plus tard, en marge de sa collaboration au Charivari, illustrer les ouvrages avec des vignettes d’un fin dessin « de myope », au trait nerveux et souvent satirique, nous en avons un bon exemple Les Après-Soupers du polygraphe Léon Jaybert, paru en 1883, ouvrage dont nous reproduisons ci-dessus un détail de la gravure originale de couverture.
Les années 1880 : un intense labeur récompensé
La production de notre dessinateur atteint dans les années 1880 une abondance incroyable ; les titres souvent suggestifs reflétant avec précision la frivolité facile de la « Belle époque ». Qu’on en juge plutôt, bien que la liste ne soit pas exhaustive :
1880 : Les petites Cardinal de L. Halévy ; Paris vicieux : Côté du cœur de Pierre Véron ;
1882 : La Saint Huberty par E. de Goncourt,
1883 : Guide du bon jeune homme à Paris de Clément Montérel ; Pour se damner de Jeanne Thilda, dans la série Contes gaillards et nouvelles parisiennes ; Le Guide de l’adultère de Pierre Véron,
1884 : La seconde nuit de Paul Ginisty ; Entre amoureux, étude mondaine, par Théo-Critt ; Sur le terrain d’Alphonse Tavernier ; Voyage autour du bonheur de Damel Darc ; L’Année parisienne, texte et dessins d’Henriot,
1885 : Julia de Trécoeur d’Octave Feuillet,
1886 : Les Belles et les bêtes de Paul Ginisty,
1887 : Karikari de L. Halévy,
À côté de cette production un peu facile, « dans l’air du temps », il y avait le jardin secret des auteurs dont le texte soigneusement calligraphié, pour le seul plaisir, s’ornait de petits dessins à la plume ou de fines aquarelles : c’étaient, choisis pour leurs Contes, Maupassant ou Mérimée et aussi Voltaire, tous ouvrages souvent non mis dans le commerce et tirés à petit nombre à l’intention des seuls bibliophiles, comme aussi nombre d’autres ouvrages illustrés par Henriot à cette époque.
1890 : la consécration
Cette année-là, Henriot devient directeur du Charivari et, n’étant plus tenu à l’exclusivité, commence à collaborer à L’Illustration, qu’il ne quittera qu’en 1931, au bout de quarante-deux ans. Chaque parution apportait son lot de petits médaillons dessinés et enrichis de légendes, bribes de conversation humoristique ou ironique échangée entre les personnages dont la galerie était bien échantillonnée.
Il y avait inévitables « têtes de Turc » : les hommes politiques, les femmes (belles-mères ou épouses) acariâtres, les militaires « benêts », les « vieux beaux » à l’œil et aux propos égrillards, les maris cocus, ou qui croient l’être ! Il arriva même que notre humoriste (du moins si l’on en croit son fils dans Le Jardin de mon Père, p. 58) mit en scène l’un ou l’autre de ses amis, comme dans le dessin ci-après, dont le fidèle Pedro Gailhard, de l’Opéra, fut l’acteur, alors qu’il rentrait d’Amérique.
Voici notre humoriste toulousain, maintenant bien installé dans la vie parisienne. Le 3 mars 1889, un fils vient de naître à son foyer C’est celui-ci qui racontera alors, bien plus tard, ce qu’avait été ce père, qu’il vient de perdre.
Laissons-lui la parole :
« Son dessin n’était pas très pur. Il le savait, et que ce n’était pas son affaire. A la pureté du trait, il suppléait par la vie extraordinaire et le caractère amusant qu’il donnait aux petits personnages innombrables qu’il faisait converser entre eux, comiquement, sur tous sujets, selon que l’actualité, la verve et la réflexion lui en fournissaient la matière […] ces petits
bonshommes sans prétention, mais d’une drôlerie si divertissante et d’une philosophie si juste…
(Mon père) ne se croyait qu’un mérite : c’était, pour un caricaturiste, de n’avoir jamais fait un dessin ou une charge contre personne, ni mêlé le moindre grain d’amertume ou de cruauté à son ironie, à sa
souriante malice. » (« Le livre de mon père», pp. 92-94).
Si contraignante que soit cette collaboration aux deux périodiques auxquels il réserve ses dessins, Henriot n’en continue pas moins à illustrer les œuvres de ses amis écrivains.
Voici par exemple, l’édition illustrée qu’il donne, en 1899, du livre de Gaston Bergeret : « Les événements de Pontax ». Le texte, entièrement manuscrit et calligraphié, s’orne, sur 150 pages, d’aquarelles en couleurs, relatant les tribulations rocamboles- ques d’un petit port normand aux prises avec un « débarquement » anglais… (Voir la reproduction ci-contre). C’est encore de cette période (1895-1900) que datent, outre un très curieux Napoléon aux enfers, une édition illustrée des « Aventures prodigieuses de Cyrano de Bergerac », publiée chez Pellerin en 1900, ouvrage que la Direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris a réédité en fac-similé il y a une dizaine d’années.
L’installation à Nesles
Le jeune Émile Henriot n’avait pas encore dix ans lorsque, sur la suggestion d’un ami de son père, la famille, désireuse d’acquérir une résidence d’été, vint enquêter dans notre village. En voici le récit tel qu’il a été transcrit en 1945, dans « Naissances », recueil des souvenirs de jeunesse de l’écrivain :
« Je me souviens d’un très beau jour d’octobre ou de novembre, frais et vif […] La journée coulait, doucement. Nous déambulions par le village, et je m’ennuyais. La nuit allait venir. Au coin d’un petit pont, la route tournait, en montant. A travers une haie, la longeant nous aperçûmes une maison isolée, à demi-perdue dans un bouquet d’arbres. Une fenêtre était éclairée. « Oh ! Regarde, dit maman, on dirait la maison du Petit Poucet ! » Un écriteau annonce : « A louer » (Naissances, p. 12)
C’est ainsi que, dès Pâques 1900, la famille Henriot s’installait, pour plusieurs générations, dans la maison qui, en face de la Ferme des Quatre-Tours, couronne la colline doucement inclinée jusqu’à l’anse que fait le Sausseron après le pont de la route de Pontoise. Les jours coulent heureux à Nesles et le fils en évoque le souvenir :
« La maison de mon père, à Paris, à Nesles, c’était la maison de l’amitié […] Sortant peu, devenu assez rapidement casanier, et polarisé en quelque sorte autour de sa table par un travail qui ne cessait pas, mon père n’était bien que chez lui. » (Vie de mon père, p. 95).
À Paris, comme à Nesles, Henriot demeure un travailleur acharné, sans – il cesse attelé à quelque dessin – il mettait toujours plusieurs esquisses avant d’arrêter la version définitive !
En effet, il participe en sus de ses deux publications habituelles, à de nombreuses autres feuilles humoristiques (Le Journal amusant, Le Boulevardier, La République illustrée, ci-contre couverture du numéro du 20 octobre 1902), sans compter des ouvrages entiers (textes et dessins : Paris en l’an 3000 [1912], Mémoires d’un vieux chêne [1900], Histoire des zouaves [1910].
1914-1918 : Malgré la guerre, l’humour
Lorsqu’éclata la première guerre mondiale, les caricatures qu’Henriot donnait à L’Illustration et au Charivari, aussi bien qu’à d’autres feuilles périodiques, telles qué A la baïonnette, reflétèrent tout naturellement la réalité, pour en sourire quand même, comme en témoignent, parmi des dizaines d’autres, quelques croquis parus entre 1914 et 1916. Quelquefois, le ton devint plus polémique, parexemple, avec la publication en 1915 de Têtes de Boches, les Allemands peints par eux-mêmes qui reprenait, en les détournant de leur humour initial, des caricatures parues dans le magazine humoristique allemand Simplicissimus. Dans un ton plus grave, l’année 1917 vit paraître successivement deux ouvrages (textes et dessins d’Henriot), en hommage aux « poilus » : De l’arrière au front, chez Fasquelle, et Les poilus à travers les âges, ombre et poème, chez Berger Levrault.
1920-1931 : Les « aimées folles »
Avec le retour de la paix, la satire retrouva ses terrains favoris, non sans faire toutefois allusion à l’actualité sociale ou économique :
les femmes se sont mises à fumer, les impôts ont beaucoup augmenté, la vie quotidienne est devenue chère, et dans les salons plastronnent des nouveaux riches, parfois des profiteurs avoués de la période de guerre. Bien sûr, les hommes politiques prodigues de promesses, les bourgeois infatués, les maris avares, les épouses et les belles-mères acariâtres, tous ont retrouvé leur censeur. Mais, à tout moment, la « mise en boîte » porte plus à sourire qu’à se fâcher ; Henriot, en philosophe bienveillant, ne veut pas la mort du pécheur ; il se contente d’observer avec ironie les travers de ses contemporains.
Émile Henriot (1889-1961), chantre de Nesles…
Le retour
Salut, Nesles ! Tu vois, c’est avril Je m’installe.
-C’est vrai ? – Six mois ! – Ce soir, je déferai mes malles,
Je débarque. Qu’il faisait bon dans ce sentier !
Pour te découvrir mieux, je suis venu à pied.
De Verville, il n ’y a que quelques kilomètres…
O charme du pays ! Délicieux bien-être !
Déjà pour t’avoir respiré, parfum léger
De la campagne en fleurs, je me sens allégé,
Reposé, bon, meilleur, tout neuf…
Me voilà, Nesles ! Mon cher pays au ciel rayé de tourterelles,
Je te revois ! L’hiver fut rude, et ce Paris aimé pourtant,
bien triste et laid sous son ciel gris.
Mais c’est fini. Plus de dîners, ni de théâtres,
Ni d’asphalte luisant sous la flamme bleuâtre
Des becs de gaz pareils dans ces mâts sans beauté
A des soleils en deuil qui n’auraient pas d’étés.
Plus de réceptions, de bals, ni de soirées,
Plus de migraines ! – mais le printemps, qui recrée ! Rien que les champs, l’air vif, le ciel pour horizon !
Se promener partout sans voir une maison !
Et si la plaine vous ennuie, une colline,
Et des arbres, des fleurs, un vallon qui décline,
Un ruisseau tantôt sous des branches et tantôt
Qui présente au nuage un miroir dans ses eaux.
Et cette paix le soir, extasiée et pure,
Et, au travers des peupliers, dans un murmure
De branches et de vent mêlés, blanche, d’un bond,
La lune, qui parait comme un bouclier rond —
Paix joie, amour, candeur, azur, clarté, feuillages, Douceur d’être, douceur du monde aux premiers âges, Sérénité, contentement, vertu – sagesse !
Il me semble déjà, ce soir, que je renaisse,
Tant est persuasive et douce cette voix
Qui monte vers mon cœur du plus loin d’autrefois
Et qui me parle avec l’intonation chère
Qu’au retour de l’enfant prodigue prend sa mère…
La recherche du «château perdu» de Nesles
« Rêvons donc. C’est ainsi que je le vois, ce château de Nesles, disparu… Bâti en équerre sur la terrasse, la plus longue façade exposée au midi, la plus courte au levant, il se composait d’un rez-de-chaussée et d’un étage sous un toit d’ardoises à la française. La façade principale était percée de onze fenêtres, la porte d’accès se trouvait à l’angle des deux corps du bâtiment, précédée de quelques marches ; un escalier à deux rampes menait à l’étage et, sous cet escalier, s’ouvrait une chapelle… »
L’illustration ci-dessus est un essai de restitution du château (gravure de Marguerite Mackain-Langlois pour « Images de Nesles »), à partir des documents d’archives, retrouvés et étudiés par Emile Henriot pour la rédaction de son ouvrage : « Recherche d’un château perdu » (H. Lardanchet Lyon, 1941).
Construit au début du XVIIe siècle, puis délaissé par ses propriétaires, les Balincourt, il avait été complètement remis en état par le comte de Châlon après 1784 et venait tout juste d’être rénové, lorsque survint la Révolution. Par la grâce de son imagination et de son talent de conteur, l’auteur, s’appuyant sur le minutieux inventaire des meubles et des objets, dressé en février-mars 1794 par Maître Pâris notaire, préalablement à la vente des biens des « émigrés Châlon », nous fait visiter les appartements. Il énumère les chaises d’acajou au siège et au dossier couvert de maroquin vert, d’autres en bois peint en gris garnies d’un velours d’Utrecht jaune ou de crin.
Des tapisseries à vases de fleurs de couleur sur fond blanc, ou un satin broché de grandes fleurs blanches et bleues sur fond rouge couvrent fauteuils et canapés d’un salon aux murs ornés de chinoiseries et de fleurs. Les murs de boiseries de la salle à manger portent des trumeaux de tapisserie. La chambre de Mme d’Andlau, épouse de M. de Châlon, est tendue d’une toile en camaïeu, et le boudoir de taffetas bleu, la pièce voisine est garnie de perse bordée d’une toile de Jouy.
Vidé de tout ameublement, le château fut vendu comme bien national et dépecé à partir de 1796 par un certain Gangulphe Andryane, prospère marchand de bois, qui sévira quelques années plus tard en vendant le château de Marly en pièces détachées. Du château de Nesles, il ne reste plus que la ferme dite des Quatre-Tours, la nostalgie d’une intimité profanée, et le regret de ces merveilles dispersées, évoquées avec bonheur par un conteur de talent, Émile Henriot.
10 juin 1940, Roland Dorgelès quitte Nesles
Sans doute à l’instigation d’Émile Henriot ou de Georges Duhamel que Roland Dorgelès, ancien combattant de 14-18 que son roman Les Croix de bois, Prix Fémina 1919, avait rendu célèbre,
Environ le 29-30 mai 1940
« En rentrant de Nancy je n’avais certes pas le cœur à l’aise, toutefois je mentirais en disant que j’étais angoissé […] En regagnant Paris, j’étais donc convaincu que la situation allait se rétablir, les brèches se colmater toutes seules, les Panzerdivisions s’arrêter faute d’essence, et je pénétrai au Continental, notre Quartier Général, du pas assuré d’un monsieur qui vient chercher une bonne nouvelle. Le chef du Service de Presse me reçut avec sa froide courtoisie ordinaire. Combattant de l’autre guerre, il cachait sous un monocle noir la trace d’une terrible blessure ; de même il cachait sous des traits impassibles les secrets qu’il pouvait détenir. Ce soir-là pourtant il fit une exception en ma faveur.
— Votre famille est bien installée dans les environs ? me demanda-t-il négligemment.
— Oui. A Nesles-la-Vallée, répondis-je un peu surpris.
— Près de Pontoise, je crois ?
— Oui, quelques kilomètres au nord.
Il parut réfléchir, puis, du même ton détaché :
— Vous seriez mieux de l’autre côté de la Seine.
J’en restai interdit, Vinterrogeant du regard mais hésitant à questionner.
— C’est grave ? demandai-je pourtant à mi-voix.
— C’est très sérieux.
Puis, pour ôter de l’importance à ce qu’il venait de me dire, le colonel me tendit une cigarette et me parla du beau temps.
Le 10 juin 1940…
« L’une des pires dates de ma vie, qui en a pourtant connu de sévères […] A Nesles, mon déménagement a été vite fait ; quelques tableaux, les livres auxquels je tenais le plus, des vêtements : c’était fini. Puis un regard désolé aux espaliers de poires et de pêches, plantés à l’automne, et dont je ne goûterais jamais un fruit Comme je refermais la grille, un voisin m’a crié : – L’Italie nous déclare la guerre. – C’est ignoble, mais ce n’est pas dangereux […] »
V V
« A Epernon (où Dorgelès avait mis, dans un premier temps, sa famille à l’abri), où j’arrivais trop tard pour les informations, on m’a tout de suite lancé : – Mussolini a déclaré la guerre. – Je le savais. Et à part ça ? – Paul Reynaud, qui l’a annoncé, a ajouté qu’on lutterait quand même, et en terminant il a dit que la France ne pouvait pas mourir. – Très bien. Je suis comme lui, je crois aux miracles. Je commençais de vider la voiture quand j’ai poussé un cri : Le Clodion ! – Quoi ? Tu l’as cassé ? – Non. Oublié sur le piano. Or, j’y tenais beaucoup à ce fragile médaillon de terre cuite, « Mars et Vénus dansant. » Mais mon dépit n’a duré qu’un instant. « Tant pis ! » On laissait derrière soi tant de choses plus précieuses, bien qu’étant sans valeur… » (Extrait de Roland Dorgelès, La drôle de guerre : 1939-1940, Albin Michel, Paris 1957, pp. 258-259 et pp. 269-270.)
J.-P. Derel