HISTOIRE D’UN VILLAGE SANS HISTOIRE
IXème épisode :
LA COMMUNAUTE DES HABITANTS DE NELLE
Les procès au judiciaire.
Le village de NELLE, un peu perdu au milieu des bois et privé de routes carrossables, n’était pas cependant sans relations extérieures et recevait, de temps en temps dans son sein, des personnages étrangers.
On rencontre dans de vieux dossiers datant de deux siècles, les noms de certaines personnes de marque qui, à des titres divers, avaient des intérêts dans la paroisse.
On y voit messire Jacques de Monthiers, président, lieutenant -général du baillage de Pontoise, exercer son droit de retrait lignager(1) sur le fief de Flélu, ayant appartenu à ses ancêtres; Messire Charles du Perrier du Bois-Franc, gentilhomme, commandant les équipages de chasse de Mgr le Prince de Conti, y apparaît dans un procès concernant le prieuré de Saint- Jean l’Evangéliste de Fontenelle; Messire Claude de Provigny, bourgeois de Paris, demeurant rue de Jouy, s’autorisant de ses contrats, y réclame avec insistance de ses fermiers « de bons chapons vifs et gros » qui se font trop attendre; Messire Jean-Baptiste Philippe Massieu, ancien greffier au Parlement, demeurant à Paris, y liquide la succession de son père, mort en 1771, et, enfin, le sieur Jean Montgolfier, recevra du temporel de l’archevêché de Paris, tant en son nom que comme fondé de pouvoirs de Messieurs de Beaumont, neveux de l’archevêque, s’inscrit au nombre des créanciers du seigneur du lieu.
N.B. Il est assez piquant de rencontrer à NELLE le nom de Montgolfier, à l’époque de la lutte célèbre des Montgolfier et du professeur Charles et précisément au moment de l’atterrissement du GRAND GLOBE dans notre village.
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Pontoise avait aussi ses grandes entrées à NELLE.
La mesure de Pontoise était la mesure légale du pays. Les relations généralement sans nuages, des négociants de la ville avec les habitants de notre village, étaient quelquefois troublées par des contestations qui amenaient finalement les parties devant Monsieur le prévôt.
Un sieur Chaulin, marchand drapier, échevin de la ville de Pontoise, prétendant avoir vendu des étoffes au maître chicanier de la ferme de Launay, en réclame le prix à «iceluy fermier», qui nie résolument cette vente et refuse non moins résolument d’en solder la facture- là-dessus, un bon coup d’auditoire où le demandeur produit «son livre journal» qui confond l’intéressé et une belle sentence qui condamne ce dernier à payer sa dette.
Le procès serait insignifiant s’il ne nous révélait pas la pratique, il y a deux cents ans, dans la corporation des marchands de Pontoise d’une comptabilité commerciale assez régulière pour faire foi en justice. Aussi bien n’était-ce pas un luxe inutile.
Sur la requête d’un créancier, la justice seigneuriale, en l’absence d’engagements écrits, déférait généralement ipso facto (2) le serment au débiteur, et il y avait autrefois passablement de gens- la discrétion nous défend d’en rechercher à NELLE- qui s’exemptaient de payer leurs dettes, en levant la main.
Aujourd’hui cette catégorie de débiteurs peu scrupuleux se contente de lever le pied sans déranger la justice ou de déménager « à la cloche de bois » en laissant une belle ardoise au créancier.
Quel beau pays que ce village de NELLE pour les hommes de loi de Pontoise ?
Demandez-en des nouvelles à Messieurs Levasseur le jeune, Levasseur l’aîné, Louis Caron, Langlois, Bardin, Petit, J-B Depoin, tous procureurs ou avocats au bailliage venant plaider à tour de rôle, deux fois par mois, par devant Maître Potel, prévôt de la seigneurie, et Maître Lesage procureur fiscal. C’était pour eux et surtout pour Maître Levasseur le jeune, favorisé de la clientèle du fermier de Launay, un vrai pays de cocagne.
Les plaidoiries de nos procureurs ne leur demandaient pas de grands efforts d’éloquence. Ils n’avaient à fournir à l’audience que quelques explications orales, en complément de « leurs écritures », signifiées préalablement par le sergent aux parties et au prévôt, écritures contenant un exposé complet et une discussion approfondie de la cause qui leur était confiée.
C’est dans les « écritures » des hommes de loi de la fin du 18ème siècle qu’il faut chercher le tableau fidèle du caractère, des moeurs et des passions de nos populations rurales. L’observateur trouvera, par surcroît, dans l’oeuvre personnelle des rédacteurs, une science profonde du droit, une discussion d’une simplicité qui n’exclut pas la finesse, d’une vivacité qui se contient, d’une indépendance qui ne fronde pas, d’un bon sens et d’une logique qui attirent l’intérêt.
On ne connaît pas assez, nous dirions presque, on ne connaît pas du tout, ces monuments précieux de la jurisprudence de nos justices subalternes dont les dossiers pourrissent au fond des greffes. Nous promettons de grandes satisfactions intellectuelles à ceux qui sauront les explorer avec persévérance et impartialité.
La vive impression ressentie par nous à la lecture de quelques-uns de ces documents, explique, si elle ne l’excuse pas, le développement que nous venons de donner à l’étude des affaires civiles de la communauté de NELLE. Ce trop grand développement nous oblige à restreindre dans l’examen des procès correctionnels qui nous reste à entreprendre.
Monsieur Pierre Pihan de la Forest, père du subdélégué de Pontoise, dont nous avons déjà parlé, exerçait au milieu du XVIIIème siècle, l’office de prévot juge de la seigneurie de NELLE. Ce magistrat n’était rien moins qu’un dilettante à en juger par la sentence qu’il rendit à la requête du procureur fiscal contre le sieur Hamelin l’aîné, manouvrier, et le sieur Hamelin le jeune, son fils, joueur de violon à Verville.
Il est fait deffense au sieur Hamelin, père, de plus à l’avenir souffrir ledit Hamelin le jeune, son fils, jouer du violon publiquement et de faire danser dans le dit lieu de NELLE, les jours de dimanche et fêtes, et audit Hamelin, fils, de ce faire, sous peine d’être contre eux procédé extraordinairement et pour l’avoir fait par ledit Hamelin fils, le dimanche vingt quatre août dernier pendant tout le jour et le soir, jusqu’à dix heures, devant la porte de l’église dudit NELLE, au pied de la croix et le père l’avoir souffert, les condamnons solidairement à vingt livres d’amende et par corps.
Il restait heureusement aux ménétriers du village, pour l’exercice de leur art, les noces plantureuses de ce temps, accompagnées, toute une semaine, de festins légendaires, rigodons et ripailles d’où les ménétriers sortaient comblés de chapons opulents et de galettes monumentales.
Autre refrain du même prévôt, proscrivant, toujours sur la requête de Monsieur le procureur fiscal, d’indécents charivaris :
Il est fait défense à la veuve Daniel Vermont, laboureur a NELLE, de ne plus souffrir à l’avenir que ses enfants s’attroupent et fassent aucune ligue et complot, pour insulter le public et en troubler le repos et la tranquillité. Et, pour l’avoir souffert notamment samedi et dimanche seize et dix sept février, et son fils s’être attroupé avec plusieurs autres libertins et vagabonds et couru nuitamment dans le dit lieu de NELLE jusqu’au pied du château en tenant des discours indécents et faisant un charivari sous prétexte du mariage d’Antoine Pelletier vigneron audit lieu avec Marguerite Trubert veuve de Aubert… les condamnons à dix livres d’amende applicables au bouillon des pauvres de la paroisse.
Le magistrat mélophobe (3) mettait dans le même sac l’art et la charge, l’harmonie et le tapage, les violoneux et les joueurs de crécelle.
Voici, par exemple, une punition bien méritée, infligée par Maître Potel à des polissons pleins de malice, qui prenaient plaisir à bousculer et à faire tomber les femmes et les filles au sortir de la veillée. Le procureur fiscal cite devant la justice de NELLE, le sieur Péron, laboureur et meunier audit lieu, civilement responsable des faits et délits de Pierre et Louis Binet, ses domestiques, et de son garçon meunier ; Jacques Hamelin, dit La Rivière, responsable de son fils mineur; Chéron, Pierre Volandre à Verville, Claude Partois garçon majeur à Verville; et, dans un réquisitoire bien senti, il expose :
Qu’ils se sont attroupés plusieurs nuits, notamment la nuit du jeudi au vendredi, huit du présent mois, qu’ils ont roulé des pierres et des arbres jusqu’à la porte de la cave des quatre vents(4) servant à la veillée et cela dans le dessein(sic) de faire tomber les femmes et les filles lorsqu’el-les quitteraient la veillée et sortiraient de ladite cave ; que lesdites femmes de la veillée, ayant entendu le bruit que ces particuliers faisaient, sont sorties de la cave pour savoir d’où il provenait, qu’alors ces particuliers perturbateurs du repos public ont continué d’embarrasser la sortie de la dite cave.
Indigné par de si grands forfaits le prévôt condamne le sieur Péron, civilement responsable de ses domestiques, à cinquante livres tournoi d’amende; idem à cent cinquante L.T. d’amende les autres inculpés ; disant que les dites amendes sont applicables au Domaine et déclarant qu’à défaut de paiement il sera procédé par corps contre les délinquants.
Après un intervalle de deux siècles, ces méfaits peuvent nous paraître aujourd’hui bien puérils par rapport à tout ce que nous lisons et voyons quotidiennement dans les médias. Osons croire que la lecture de ces quelques lignes puisse être source de réflexion …
Propos recueillis par Jean DESCHAMPS à suivre…
(1) Droit qu’avaient les parents d’un défunt de reprendre, dans un délai fixé, l’héritage vendu par lui, à la condition d’en rembourser le prix à l’acquéreur.
(2) Par le fait même.
(3) Se dit d’une personne qui hait la musique.
(4) La cave des quatre vents existe encore dans l’état où elle se trouvait il y a environ un siècle et faisait partie des communs de la propriété de M. Caffin, conseiller municipal vers 1889.