Un poète aux champs, Jean de Santeuil, « Poète perpétuel de la Ville de Paris » au Manoir de Launay

Un poète aux champs, Jean de Santeuil, « Poète perpétuel de la Ville de Paris » au Manoir de Launay1Au XVIe siècle, le fief de Launay appartenait à Hélène de Boulainvilliers, épouse d’Henri d’Espezat. Elle y fit bâtir un manoir fortifié, dont l’architecte Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire d’Architecture nous a laissé un dessin sans doute quelque peu « amélioré » dans la restitution des détails, bien qu’à cette époque la construction eût conservé son intégrité ; ce n’est en effet que vers 1875 qu’on en démolit la plus grande partie. L’architecte est, selon toute vraisemblance, le Pontoisien Nicolas Lemercier, membre d’une dynastie d’architectes, qui développèrent le style Renaissance dans le Vexin et dont la lignée se perpétua jusqu’au milieu du XVIIe siècle, au service du Cardinal de Richelieu. Le manoir passa en 1610 à André de Cassan, écuyer du Prince de Conti. Par héritage, il devint la propriété du frère, puis du neveu d’André de Cassan. Acheté en 1624 par J. Gillibert, il est vendu par le fils de celui-ci, le 31 mai 1688, à Jacques de Santeul, rece­veur des finances du Dauphiné, frère du fameux Jean-Baptiste (de) Santeul, chanoine en l’abbaye de Saint-Victor à Paris.

Celui-ci, fort assidu à la cour des Condé à Chantilly dut apprécier le calme des rives du Sausseron, pour y composer les vers latins dont il émaillait aussi bien ses hymnes religieux que les nombreuses pièces profanes, en vers latins elles aussi, qu’il dédiait à ses amis tout autant que, non sans quelque flagornerie, aux puissants du moment ou avec une vive passion à quelque adversaire, de préférence jésuite, qui le querellait à propos de son indulgence pour le jansénisme.

Très lié avec les frères Perrault, Charles, l’auteur des Contes et Claude, qui assistait Colbert dans la surintendance des Bâtiments, Jean Santeul eut assez de renommée pour faire partie de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, dite la « petite Académie », par opposition à l’Académie française. Cette assemblée avait la charge de rédiger les devises et autres textes à la gloire du Roi Soleil, gravés aux frontons des bâtiments (par exemple, Santeuil a composé des inscriptions pour l’Arsenal de Brest) ou publiés à l’occasion de quelque grand événement comme une entrée royale à Paris.

C’est sans aucun doute, ce qui valût à notre auteur d’obtenir le titre de « Poète perpétuel de la Ville de Paris », ce dont il remercia en 1673, Claude Pelletier, prévôt des marchands, par une Ode sur les fontaines de Paris, mise en français par P. Corneille.

A ce titre, il composa un grand nombre de devises pour orner les nombreuses fontaines que, sous l’impulsion de Colbert, les édiles parisiens ont élévées à cette époque. La plupart de ces fontaines a disparu, mais des gravures nous les restituent et les guides du XVIIIème siècle en ont relevé les inscriptions.

La fontaine des Capucins de la rue Saint-Honoré :Un poète aux champs, Jean de Santeuil, « Poète perpétuel de la Ville de Paris » au Manoir de Launay2
Elle se trouvait à l’emplacement de l’actuel numéro 259 de la rue Saint-Honoré, elle a disparu, au début du XIXème siècle pour faire place à la rue de Castiglione. « Près de la porte de ce monastère », écrit V. Thiery dans son Guide du voyageur à Paris(1787) [t. I p. 112 ], a été construit, en 1715, une fontaine d’eau de la Seine, où l’on lit ces vers de Santeuil :
Tôt loca sacra inter, pura est quae labitur unda, Hinc non impuro quisquis es ore bibas.
C’est-à-dire : « Cette onde qui a couru parmi tant de lieux sacrés, Qui que tu sois, bois-la d’une bouche pure. »

Un poète aux champs, Jean de Santeuil, « Poète perpétuel de la Ville de Paris » au Manoir de Launay3

La fontaine Saint-Michel :
La porte Saint Michel, à l’angle des actuels boulevard Saint-Michel et rue de la Harpe, démolie en 1684, a fait place à cette fontaine élevée en 1687 par l’architecte Pierre Bullet, et détruite à son tour sous la Révolution, en l’an III. Un distique de Santeuil était gravé en lettres d’or sur une table de marbre de Dinan qui disait à peu près ceci :
« C’est sur la montagne que la Sagesse prend ses sources,
Ne pollue point cette eau d’une source pure. »

 

La fontaine Saint-Victor :Un poète aux champs, Jean de Santeuil, « Poète perpétuel de la Ville de Paris » au Manoir de Launay4 Cette fontaine, placée à l’angle des murs de clôture de l’Abbaye de Saint-Victor et de la rue de Seine, est un réservoir de l’eau d’Arcueil ; elle consiste en une urne soutenue par des dauphins et posée sur un piédestal dans le milieu duquel est un masque de bronze ; deux sirènes accompagnent cette urne surmontée des armes de la Ville. Un attique, orné d’un fronton brisé, chargé des armes du Roi, forme son couronnement. On lit les deux vers suivants composés par Santeuil :
« Quae sacros Doctrinae aperit domus intima fontes, civibus exterior dividit urbis aquas. »
V. Thiéry, Guide…, t. II p. 161.
Ce qu’on peut traduire ainsi :
« Les Pères ont ouvert les sources sacrées du sein de leur maison pour les partager avec les habitants de la ville. »

Cette fontaine, aujourd’hui disparue, datait de 1671 et son dessin est parfois attribué au Bernin ; elle s’adossait à une tour de l’enceinte de l’abbaye que l’on voit en arrière, dite « Tour d’Alexandre », ancienne prison de l’abbaye Saint-Victor.

 Jean-Pierre Derel
La Mémoire du Temps passé
Journées du Patrimoine 1995 – 1996 – 1999