« Le Petit Train de Nesles »

A lui seul il mérite que son histoire soit conservée. Lorsque je pense à lui, je ne peux m’empêcher de le parer de tous les charmes d’un train d’opérette qui se prenait pour le meilleur moyen de transporter le public.
Qui témoignera avec moi de sa fantaisie et de son apparente désinvolture ?

Toussotant, chuchotant et sifflant, il ne passait pas inaperçu et renouvelait ses bruyantes habitudes à l’approche de chaque village. II n’était pas toujours à l’heure et se payait parfois des caprices de diva.

Et pourtant il a joué un rôle important au service des voyageurs. Exactitude, confort, régularité n’étaient pas ses meilleurs atouts, mais il accomplissait sa tâche en bon petit républicain. Sa vaillance, malgré les épreuves, a contribué à créer une certaine solidarité entre personnels et usagers. Ainsi les passagers étaient-ils invités à entretenir le poêle de chaque wagon avec la réserve de bois (s’il en restait). Sa disparition (en 1950 ?) a isolé les villages desservis, puisque le service de cars prévu à sa place a eu une vie éphémère. Sans voiture, il est souvent difficile de se déplacer à Nesles.

Les habitués du petit train (et ils étaient nombreux) pourraient raconter les petites surprises qu’il réservait à ses clients. Je ne puis faire état que de ce que j’ai vécu.
Notre tacot s’adaptait aux circonstances pour satisfaire les voyageurs. Pendant la guerre et même au-delà, il accueillait de nombreux campeurs venus s’oxygéner à Nesles et le dimanche soir, il fallait voir les grappes de jeunes et de moins jeunes s’accrochant les uns aux autres sur la plate-forme arrière de chaque wagon. Certains n’avaient d’appui qu’un pied sur une marche et parfois le bras secourable d’un autre passager, le tout dans la bonne humeur. Une atmosphère agréable entretenait les conversations.
Au niveau de certains passages à niveau qui n’avaient plus de gardien, le contrôleur descendait à l’arrêt du train pour fermer et rouvrir le passage avec bonhomie.

Pour achever ce petit condensé des particularités de ce moyen de transport, je ne puis m’empêcher d’évoquer une anecdote personnelle et scolaire : avec ma sœur nous avions trouvé une façon spéciale de rentabiliser le voyage, bien calées sur la plate-forme arrière, nous déclamions à haute voix les poèmes que nous devions apprendre par cœur. Nous avions découvert que les poésies de Goethe, notamment avaient un rythme qui coïncidait avec les balancements bruyants de notre train.

Avec lui s’éloigne de plus en plus notre jeunesse et nous lui gardons un souvenir fidèle et vivace. Nous sommes toujours prêtes à parler de lui.

Simone Grosse
ancienne conseillère