1783, l’an I de la conquête du ciel, De Paris à Nesles avec Charles et Robert

Cette année-là vit la véritable naissance du plus léger que l’air avec les innombrables expériences de « montgolfières », gonflées d’air chaud (on disait alors d’ »air dilaté »), ou de « machines aérostatiques », gonflées au gaz d’hydrogène. Particulièrement vive était la compétition entre les inventeurs. Qu’on en juge par ce calendrier !

4 juin : A Annonay, les premiers aérostats, ballons de papier gonflés d’un air chaud produit par la combustion d’un mélange de paille et de laine, sont lancés par les frères Montgolfier ; ils s’élè­vent jusqu’à 300 mètres de hauteur.

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7 août : Premier essai, depuis le Champ de Mars, à Paris, d’une « machine aérostatique » du physi­cien Charles et des frères Robert, d’un volume de soixante mètres cubes, sans nacelle et sans équipage, gonflée d’hydrogène obtenu par l’attaque de la limaille de fer par l’acide vitriolique (acide sulfurique). La « machine », dont l’enveloppe avait été déchirée par la dilatation du gaz, atterrit, trois quarts d’heure plus tard, à Gonesse, où elle est détruite par les paysans effrayés par ce « monstre » tombé du ciel !

19 septembre : A Versailles, en présence du roi et de toute la cour, nouvelle as­cension, d’une montgolfière, emportant cette fois des animaux (un mou­ton, un coq et un canard). Elle volera jusqu’à Vaucresson.
C’était une machine de vingt-trois mètres de haut, baptisée « Le Réveillon », du nom du fabricant de papier peint qui avait fourni les vingt-quatre bandes de papier collées sur un canevas. De couleur bleue et or, le ballon portait les chiffres et le portrait royal en médaillon dans un so­leil. Cette décoration sera reprise plusieurs fois, entre octobre et novembre, pour des essais de vol, libre ou captif, conduits par Pilâtre de Roziers, à Paris, dans le parc de la « Folie Titon », résidence de Réveillon, le fabricant de papier peint.

21 novembre : Première ascension humaine, à bord d’une montgolfière. Deux aéronau- tes, plutôt téméraires, François Pilâtre de roziers et le marquis François d’Arlandes, décollent de la pelouse du château de la Muette, en présence de la famille royale, de la cour, de Benjamin Franklin, et d’une foule considérable ; ils s’élèvent à plus de mille mètres, parcourent environ dix kilomètres en survolant Paris, et se po­sent, vingt minutes plus tard, à la Butte aux Cailles.C’était une machine de vingt-trois mètres de haut, baptisée « Le Réveillon », du nom du fabricant de papier peint qui avait fourni les vingt-quatre bandes de papier collées sur un canevas. De couleur bleue et or, le ballon portait les chiffres et le portrait royal en médaillon dans un so­leil. Cette décoration sera reprise plusieurs fois, entre octobre et novembre, pour des essais de vol, libre ou captif, conduits par Pilâtre de Roziers, à Paris, dans le parc de la « Folie Titon », résidence de Réveillon, le fabricant de papier peint.

1er décembre : Jacques Alexandre César Charles et Marie-Noël Robert, frère de l’inventeur de la toile vernie, qui a servi à confectionner l’enveloppe de l’aéros­tat, décollent du jardin des Tuileries. (Gravure ci-contre).

C’était l’aboutissement d’une entreprise, menée avec une rigueur toute scientifique, visant à s’affranchir des contraintes des expériences précédentes. Le ballon, de forme sphérique, gonflé d’hydrogène, ne comportait plus de générateur d’air chaud, risquant de déclencher un incendie. La nacelle en osier, pour deux personnes, assujettie au ballon par un filet et des suspenses attachées à un cercle ceinturant le ballon en son équateur, assurait un confort que le balcon circulaire des montgolfières ne procurait pas. La présence de soupape et d’appen­dice, ainsi qu’une bonne provision de lest, permettaient de maîtriser le gonflage et l’altitude du ballon. Enfin, un baromètre avait été embarqué pour mesurer l’altitude atteinte.

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De Paris à Nesles, avec Charles et Robert

Le départ des Tuileries.

Écoutons le témoignage de Labiée, ami et compatriote de Robert, dans une lettre à son frère, écrite le soir même :
«Toutes les terrasses et allées des Tuileries étaient pleines de monde ainsi que les croi­sées et les toits du château et des maisons d’où on voit le jardin. Un char, dont la forme et les couleurs étaient du meilleur goût, était suspendu au globe. On ne s’était pas attendu à y voir monter M. Charles. Il y prit place avec un des frères Robert. Ils burent un coup à la santé des spectateurs, prirent en main chacun un drapeau, l’un blanc, l’autre rouge, et les agitèrent en saluant de tous côtés. On coupa les cordes et les voilà voguant dans les airs à ballon perdu.»

Devant des dizaines de milliers de spectateurs, dont certains avaient payé trois livres pour assister au spectacle ce lundi 1er décembre 1783 à une heure quarante de l’après-midi, à bord du « Grand Globe », Charles et Robert viennent de s’arracher à la pesanteur. « C’était de la joie ; c’était de la surprise, ensuite de l’admiration, de la stupeur, et enfin de la crainte », exulte Rivarol.

Voici le récit de Charles lui-même :
«Nous nous élevons au milieu du silence concentré par l’émotion et la surprise… Durant le cours de ce délicieux voyage, il ne nous est pas venu d’avoir la plus légère inquiétude sur notre sort et celui de notre machine… Nous nous sommes abandonnés aux spectacles variés que nous présentait l’immensité des campagnes. Nous agitions sans cesse nos pavillons et nous nous apercevions que ces signaux redoublaient l’allégresse et la sécurité…»

Emporté par un léger vent de sud-est, le ballon survole Clichy, Gennevilliers, Argenteuil, Sannois, Franconville, Saint-Leu, Tavemy, Bessancourt, Villiers-Adam et L’Isle-Adam. Rendons la parole à nos intrépides navigateurs aériens :
«Après avoir admiré cette délicieuse localité, nous fîmes encore le salut des pavillons ; nous demandâmes des nouvelles de Mgr le prince de Conti, on nous cria avec un porte-voix qu’il était à Paris et qu’il serait bien fâché. Nous regrettions de perdre une si belle occasion de lui faire notre cour, nous serions en effet descendus au milieu de ses jardins, si nous avions voulu, mais nous prîmes le parti de prolonger encore notre course et nous remontâmes.»

L’atterrissage à Nesles…

«Il était trois heures et demie passées, j’avais le désir de faire seul un second voyage et de profiter de nos avantages ainsi que du jour. Je proposai à M. Robert de descendre ; nous voyions de loin des groupes de paysans qui se précipitaient devant nous à travers champs.

Laissons aller, lui dis-je. Alors nous descendîmes vers une vaste prairie. Des arbustes, quelques arbres bordaient son enceinte. Notre char s’avançait majestueusement sur un plan incliné très prolongé… Arrivés près de ces arbres, je craignis que leurs branches ne vinssent heurter le char, je jetais deux livres de lest, et le char s ’éleva par-dessus en bondissant comme un coursier qui franchit une haie. Nous parcourûmes plus de vingt toises à un ou deux pieds de terre ; nous avions l’air de voyager en traîneau. Les paysans couraient après nous sans pouvoir nous atteindre, comme les enfants qui poursuivent des papillons dans une prairie. Enfin, nous prenons terre. On nous environne…»

La course folle prend fin ; le ballon est enfin maîtrisé par quelques poignes robustes.
«Je demandais sur-le-champ, poursuit Charles dans son récit, les curés, les syndics, ils accouraient de tous côtés. Je dressai aussitôt un court procès-verbal qu’ils signèrent.»

«Nous soussignés, Charles et Robert, Jean Burgot, curé de Nesles, et Charles Philippe, curé de Fresnoy, Thomas Hutin, syndic perpétuel de la dite paroisse, et Lheureux, curé d’Hédouville, certifions que la machine aérostatique est descendue entre Nesles et Hédouville, dans la prairie de Nesles, à 3 h 3/4. En foi de quoi nous avons signé le procès-verbal écrit dans le char aérostatique, par moi, Charles.»

L’exploit n’était pas achevé pour autant… Robert descendit du char et Charles s’envola de nouveau. Laissons-lui encore la parole :
« Mes amis, dit-il, retirez-vous tous en même temps des bords du char au premier signal que je vais faire et je vais m’envoler. Je frappe dans la main, ils se retirent, je m’élançais comme l’oiseau. En moins de dix minutes, j’étais à plus de 1 500 toises (près de 3 000 mètres), je m’attendais à ce qui allait arriver. «Le Globe» qui était assez flasque à son départ, s’enfla insensiblement. »

Ayant pris toutes dispositions utiles pour éviter l’explosion, en lâchant du gaz par les sou­papes, transi de froid (il faisait 5° sous zéro), assourdi par la brusque variation d’altitude, ébloui par le spectacle du soleil se couchant à l’horizon une deuxième fois, pour lui seul, Charles ac­célère la descente en tirant à nouveau la soupape supérieure, et, apercevant une terre en friche près du bois de La Tour du Lay, y atterrit en douceur. Il se trouvait à moins d’une lieue de son point de départ. Le trajet aérien cependant, d’une durée de trente-cinq minutes, était long de plus de trois lieues.

L’enthousiasme populaire submerge tout le royaume. Louis XVI récompense largement tous les protagonistes. Les Montgolfier sont anoblis et reçoivent le cordon de Saint-Michel. Pilâtre de Roziers (qui devait périr en 1785 en tentant de traverser la Manche) perçoit mille livres de pension ; le marquis d’Arlandes est nommé major de place. Charles obtient une pension de deux mille livres et Robert, son compagnon, mille.

La mode «à la montgolfière» se répandit jusque dans les arts : ce ne sont plus que plats, assiettes, vases et saladiers en faïence de Nevers, de Strasbourg, ou en porcelaine de Lille et de Moustiers, ornés d’un décor «au ballon». Marie-Antoinette, elle-même, commanda une pendule «au ballon».

Son exploit valut à Jacques Charles une extraordinaire renommée. Dans son «cabinet de physique», où le tout-Paris scientifique autant que mondain se pressait, il émerveillait son auditoire par des expériences d’une confondante habileté.

«Charles prétendait, lorsqu’on le félicitait, que sa dextérité était plus apparente que réelle, qu’elle avait été le fruit d’un travail opiniâtre, de méditations prolongées et d’exercices prépa­ratoires continuels. Il passait des heures, parfois des journées entières, dans son laboratoire, pour essayer une expérience qui, en présence du public, ne devait durer que quelques minutes.» (Fourier, Éloge funèbre de M. Charles, devant l’Académie des Sciences).
Élu membre et Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences, il devint bibliothécaire de l’Institut et professeur de physique au Conservatoire des Arts et Métiers, où son cabinet de physique a été préservé.

Est-ce une de ses ferventes admiratrices que cette Julie Françoise Bouchaud des Hérettes, une jeune créole de vingt-deux ans, née en 1782 à Saint-Domingue, de trente-six ans sa cadette, qui devient Madame Charles, en 1804?

Madame Julie Charles est devenue, peut-être plus encore que son mari, célèbre à raison de sa liaison avec le poète Alphonse de Lamartine, dans les circonstances que nous allons voir.

De Paris à Nesles, avec Charles et Robert1

Jean-Pierre Derel
La Mémoire du Temps passé
Journées du Patrimoine – 1995 – 1996 – 1997